L'édito européen de Quentin Dickinson

Pour qui, la facture ?

Photo de Glib Albovsky sur Unsplash Pour qui, la facture ?
Photo de Glib Albovsky sur Unsplash

Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.

La guerre en Ukraine retient en ce moment l’attention par l’horreur des bombardements russes sur des cibles civiles, mais aussi par les différentes négociations en cours pour y mettre fin ; mais loin de là se déroule, plus discrètement, une autre partie…

On le sait, les besoins financiers de l’Ukraine sont considérables et récurrents : ainsi, pour l’année prochaine, la Commission européenne les estime à 81 milliards d’Euros, et à 64 milliards en 2027. Faute de trouver des sources de financement, l’État ukrainien sera inévitablement défaillant et dans l’incapacité de faire fonctionner le pays - sans parler de l’effort de guerre, qui suppose l’achat d’armes et, surtout, la fourniture de munitions en très grande quantité.

Pour autant qu’il y en ait, quelles sont les solutions envisageables ?...

Toute solution passe par les soutiens extérieurs de KYEV, c’est-à-dire essentiellement par la Coalition des Volontaires, le groupe de trente-trois pays démocratiques, emmenés par la France, l’Allemagne, et le Royaume-Uni, avec douze États de l’Union européenne, l’OTAN (sans les États-Unis), le Japon, le Canada, et la Norvège, notamment.

Cependant, rares sont les pays qui proposent de faire porter par leurs citoyens contribuables un cadeau non-remboursable à l’Ukraine, d’autant que pratiquement tous les Volontaires connaissent actuellement de notables difficultés à boucler leur budget annuel.

Où irait-on donc chercher l’argent, alors ?...

Une première possibilité consisterait pour les Volontaires à l’emprunter sur les marchés financiers mondiaux, d’y apporter leur caution, et à le transmettre à l’Ukraine. Cependant, le trouble provoqué ces jours derniers par la découverte d’une vaste affaire de corruption, au détriment de travaux prévus pour l’armée ukrainienne, n’encourage pas les Occidentaux à lâcher les sommes réunies sans de solides garanties de KYEV. Au mieux, ce serait dossier par dossier, et trimestre par trimestre.

Beaucoup dépend évidemment de la façon dont se conclura la guerre.

Comment cela ?...

Si l’Ukraine l’emporte – pas de problème. En revanche, si la Russie est victorieuse, les Volontaires ne verront pas le moindre kopek leur revenir, et ils en seront de leur poche.

Les contours d’une issue qui se situerait quelque part entre ces deux extrêmes sont à l’heure actuelle tellement flous qu’il est impossible de deviner le sort que connaîtrait la dette que les trente-trois Volontaires auraient accumulé.

Donc, je repose ma question : d’où viendrait cet argent ?...

On en a beaucoup discuté, mais aucune décision définitive n’est à l’heure actuelle apparue. Vous le savez, les Européens prélèvent déjà une partie des intérêts générés par les fonds russes, gelés à l’étranger depuis le début de la guerre, pour soutenir les Ukrainiens.

Le débat du moment, c’est de savoir si l’on ne mettrait pas la main sur la totalité du pactole.

On parle de quels montants ?...

Les avoirs de l’État russe à l’étranger s’approchent de l’équivalent de 303 milliards d’Euros, dont les deux-tiers se trouvent dans l’Union européenne, principalement auprès de la chambre de compensation EUROCLEAR à BRUXELLES. Ici, les milliards ne sont pas tous en Euros, car une partie des avoirs est détenue en Livres Sterling et en Dollars américains, avec des apports moindres en devises suisse, canadienne, australienne, et singapourienne.

Mais qu’est-ce qui empêche les Volontaires de les saisir pour en faire bénéficier l’Ukraine ?...

Pareille décision serait sans précédent – et c’est précisément le précédent que cela constituerait qui inquiète les juristes, un fondement de jurisprudence qui pourrait tenter d’autres gouvernements en difficulté financière de procéder de la sorte en piétinant la notion-même de propriété.

Il n’en faut pas plus pour que le gouvernement fédéral belge réclame davantage de garanties pour son pays, au cas où tout tournerait mal, vu qu’EUROCLEAR est un établissement de droit belge. Le Premier ministre Bart DE WEVER dit aussi redouter l’ire du Kremlin.

Toutefois, tous les accommodements proposés à ce jour à M. DE WEVER se sont révélés insuffisantes à ses yeux.

Comment donc en sortir ?...

L’idée qui fait son chemin, ici à STRASBOURG où se tient la session plénière mensuelle du Parlement européen, c’est que l’Union européenne, sous une forme ou sous une autre, contracte un ou plusieurs emprunts…dont la garantie serait constituée par l’existence des 303 milliards de fonds russes gelés.

C’est astucieux, quoique cela ne réglerait pas la question sur le fond, mais permettrait quand même de gagner quelques mois. Et la saisie des 303 milliards resterait encore envisageable dans l’hypothèse où les pourparlers de paix continueraient à piétiner.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.