Chaque semaine, la série de podcasts "L'Europe vue de Bruges" propose un éclairage original sur l’actualité européenne, vue depuis Bruges. Les intervenant·es sont des étudiant·es de la promotion Victoria Amelina, des Assistant·es académiques et, plus ponctuellement, des professeur·es.
Alexandre Mies est étudiant franco-italien en Études politiques au Collège d’Europe et en Administration publique à Sciences Po Paris.
Diplômé d’une double licence en histoire et science politique, il a acquis une expérience dans plusieurs administrations françaises et européennes, où il a travaillé sur des sujets budgétaires, sociaux et environnementaux.
La Commission européenne veut créer une contribution sur les plus grandes entreprises du marché unique. Mais pourquoi maintenant ?
Cet été, la Commission européenne a publié sa proposition de budget de l’Union européenne pour la période 2028-2034.
La proposition est franchement ambitieuse : on parle de 2000 milliards d’euros qui serviront non seulement à nourrir la redistribution dans l’UE, mais aussi la compétitivité ou la transition écologique.
Problème : comment financer tout ça sans alourdir la facture des États membres ? L’UE propose 5 nouvelles ressources propres, c'est-à-dire des entrées d’argent qui lui reviendront exclusivement. Parmi celles-ci, cette nouvelle contribution des grandes entreprises, appelée CORE (pour Corporate Own Resource).
Quelles entreprises seraient concernées ?
La nouvelle contribution ne concernerait que les entreprises au chiffre d’affaires qui dépasse les 100 millions d’euros par an sur le marché unique européen.
Donc, quelques centaines d’entreprises comme Nestlé, TotalEnergies ou Volkswagen.
Le deal est plutôt équilibré :
- Le taux de prélèvement serait faible : moins de 0,1% du chiffre d’affaires de ces entreprises (donc ça limite largement l’impact sur de très gros CA) ;
- Et ça rapporterait gros à l’UE : entre 7 et 10 milliards d’euros par an.
Les entreprises ne sont-elles pas déjà taxées par les différents États ?
Oui, elles le sont. La contribution viendrait s’ajouter aux impôts sur les sociétés des différents États. Et d’ailleurs, ça crispe les entreprises.
Mais la Commission veut souligner qu’elles profitent aussi directement du marché unique grâce à la libre circulation, la taille du marché et la stabilité juridique. Et cette taxe répond à un sentiment d’injustice fiscale : beaucoup d’Européens estiment que les multinationales paient moins que les PME ou les particuliers.
Et encore une fois, l’échelle est assez différente : en moyenne, dans les États, le taux d’IS est de 21%. Alors que la nouvelle taxe européenne représentera moins de 0,1% du CA (donc très limitée).
Et en pratique, est-ce que c’est possible à mettre en œuvre ?
Il faut avouer que la proposition pose deux enjeux :
- D’un côté, certains États comme l’Allemagne ont peur d’une atteinte à leur souveraineté fiscale ;
- De l’autre, il y a un risque que cette contribution soit retoquée pour inconstitutionnalité dans certains États, où la question de la double-imposition est assez sensible. Malgré tout, les juristes estiment que la mesure est compatible avec les constitutions, même si on imagine déjà qu’elle fera l’objet de recours.
Et, bien sûr, le budget lui-même doit encore être approuvé par les États membres et le Parlement européen ; mais c’est une autre histoire.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.