L'Europe vue de Bruges

Le Spatial une réalité européenne : Règlement de l'UE sur l'Espace

© NASA Le Spatial une réalité européenne : Règlement de l'UE sur l'Espace
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Chaque semaine, la série de podcasts "L'Europe vue de Bruges" propose un éclairage original sur l’actualité européenne, vue depuis Bruges. Les intervenant·es sont des étudiant·es de la promotion Jacques Delors (2024-2025), des Assistant·es académiques et, plus ponctuellement, des professeur·es.

Rayane Feriate est diplômé d'un Master en droit des affaires et d'un M2 en droit des activités spatiales et des télécommunications. Aujourd'hui en Master de Politique et Gouvernance Européenne au Collège d'Europe, , il a acquis de l'expérience en travaillant sur Iris Square, en tant que Legal Counsel chez Thales, Bird & Bird en Space & Denfence, et à l'Agence Spatiale Européenne dans le bureau du directeur général. 

Il nous parle aujourd'hui du règlement de l'Union européenne sur l'Espace. 

Pourquoi le spatial est aussi stratégique ?

Lorsqu’on évoque l’espace, on pense souvent au prestige scientifique, à l’exploration, à la Lune, voire à la conquête de Mars. Cet imaginaire cherche à faire de l’Homme l’être capable de dépasser sa condition pour conquérir les environnements les plus hostiles. Cependant, il est crucial de rappeler que la Terre est influencée par l’espace : GPS pour la navigation, satellites météorologiques, internet, télécommunications, observation de la Terre pour les catastrophes naturelles ou l’agriculture, et même la défense. L’espace est ainsi rapidement devenu un enjeu vital pour les intérêts stratégiques de tous les États.

Et les enjeux étatiques riment souvent avec droit. Le secteur spatial n’étant pas exempt de cette règle, il a rapidement fallu régir les activités dans l’espace avec une série de traités internationaux entre 1967 et 1979. Le premier traité, intervenant en 1967, est connu sous le nom de traité sur l’espace ou traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes.

Avec l’implication croissante de l’Union Européenne, marquée par la création de la DG DEFIS (Defence Industry and Space) et de l’EUSPA (EU Agency for the Space Programme), il est devenu nécessaire d’établir un cadre harmonisé pour les États membres.

Qu’est-ce que le « Règlement de l’UE sur l’Espace » européen et pourquoi la Commission l’a-t-elle proposé ?

Actuellement, treize États membres disposent chacun de leur propre législation nationale, ce qui rend les démarches complexes et coûteuses pour les entreprises. Dans le contexte européen, où le secteur spatial est façonné par la coopération entre entreprises de différentes nationalités, la Commission européenne a proposé, le 25 juin 2025, un Règlement de l’UE sur l’Espace. Ce cadre commun vise à réguler toutes les activités spatiales dans l’Union, avec pour objectifs de créer un marché unique du spatial, de renforcer la sécurité, la résilience (notamment cyber), la durabilité environnementale, et d’accroître la compétitivité des entreprises européennes.

Ce projet est également motivé par une urgence : le trafic spatial est en explosion, avec environ 11 000 satellites en orbite aujourd’hui et 50 000 autres potentiellement lancés d’ici 2035. Plus d’objets en orbite signifie plus de risques de collision et de débris. Le Règlement de l’UE sur l’Espace cherche à imposer des règles claires, telles que des services d’évitement des collisions, le partage des données de positionnement, et une fin de vie contrôlée avec désorbitation.

Le Règlement de l’UE sur l’Espace vise notamment à renforcer la résilience des infrastructures spatiales. Un exemple notable est la cyberattaque sur le réseau satellitaire Viasat dans le contexte de la guerre en Ukraine, attribuée à la Russie, qui a temporairement paralysé une partie des communications, affectant l’armée ukrainienne ainsi que de nombreuses entreprises et particuliers en Europe.

Pourquoi dit-on que l’espace est désormais un enjeu géopolitique et économique ? L’Europe est-elle en retard face aux États-Unis et à la Chine dans ce domaine ?

L’espace c’est surtout géopolitique. Depuis 2019, l’OTAN reconnaît l’espace comme un domaine d’opérations, au même titre que la terre, la mer, l’air et le cyber. Autrement dit, priver un pays de ses satellites, c’est toucher son économie et sa défense.

Grâce à des pays comme la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Belgique, l’Europe a préservé une position historique qui lui garantit une indépendance et un accès souverain à l’espace, notamment grâce au centre spatial guyanais et au projet Ariane.

Cependant, les États-Unis et la Chine dominent cette nouvelle course à l’espace. Les Américains disposent de budgets colossaux et d’une avance technologique renforcée par le dynamisme du secteur privé, illustré par SpaceX. La Chine, de son côté, investit massivement et progresse rapidement, avec sa propre station spatiale, des missions lunaires ambitieuses et des plans pour des bases habitées.

L’Europe a déjà mis en place des infrastructures souveraines comme GalileoCopernicus et IRIS², et développe des commandements spatiaux nationaux pour protéger ses actifs. D’autres projets relatifs à l’observation de la Terre à des fins de défense sont en cours, avec une implication active de la Commission Européenne via la DG DEFIS.

L’enjeu est ainsi défensif : une attaque contre des satellites pourrait paralyser des économies entières. En novembre 2021, lorsqu’un missile russe a pulvérisé un vieux satellite en orbite, créant un nuage de débris, les États-Unis ont dénoncé un acte irresponsable menaçant des engins « vitaux pour la sécurité, l’économie et la science de toutes les nations pour des décennies ». Cet incident illustre bien que le contrôle du ciel orbital importe à la fois pour protéger nos activités civiles et pour préserver la supériorité stratégique.

La récente guerre en Ukraine a d’ailleurs illustré l’importance de ces enjeux : le réseau Starlink d’Elon Musk, déployé rapidement, a été déterminant pour maintenir les communications ukrainiennes face aux coupures terrestres.

Conclusion : 

L’Europe dispose d’atouts solides pour combler l’écart : l’UE pousse une double approche, réguler intelligemment et accélérer ses capacités.

En clair, le message du Règlement de l’UE sur l’Espace est : instaurer un terrain de jeu clair pour les entreprises et protéger notre souveraineté, notre compétitivité, afin d’assurer la sécurité du continent.

Ce Règlement de l’UE sur l’Espace reste une proposition. Il doit encore être négocié par le Parlement européen et les États membres. Le calendrier visé : adoption politique dans les prochaines années et application à partir de 2030 pour les actifs lancés après cette date.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.