Eness Ciobanu est étudiant au Collège d’Europe en master d’Etudes politiques et gouvernance européennes. Il a précédemment étudié à Sciences Po Paris où il a suivi une formation pluridisciplinaire en sciences humaines et sociales avec une spécialisation sur l’Union européenne et les pays d’Europe centrale et orientale en Licence, puis une formation en Affaires européennes et administration publique en Master. Durant ses études, il a travaillé au Sénat de Roumanie au sein du Service des affaires européennes pendant la présidence roumaine de l’UE (2019), au Conseil de l’Union européenne au sein de la Direction Générale Politique institutionnelle et générale et à l’Assemblée nationale au Secrétariat de la Commission des affaires européennes pendant la Présidence française de l’UE.
Vous êtes donc venu aujourd'hui nous parler de la loi électorale européenne. Mais de quoi s'agit-il exactement ?
La loi électorale européenne est un acte législatif adopté en 1976 qui prévoit l’élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct. Il faut noter que les élections européennes sont organisées par cet acte législatif européen mais également par des dispositions légales nationales ce qui rend, pour l’instant, les élections européennes assez hétérogènes en termes de procédures et délais. L’acte relatif aux élections européennes, entré en vigueur avant l’adoption du Traité de Lisbonne, a été amendé deux fois : en 2002 et en 2018. Le premier amendement de 2002 a apporté quelques changements substantiels : le principe de proportionnalité et l’interdiction du double mandat des députés européens, par exemple. L’amendement de 2018 inclut des dispositions purement techniques concernant différentes procédures de vote, protection des données personnelles, introduction d’un seuil minimum de voix etc. Néanmoins, ce dernier amendement n’est toujours pas entré en vigueur car il n’a pas été ratifié par tous les Etats membres.
Un autre détail mérite d’être souligné : l’idée de listes transnationales n’est pas nouvelle. Le rapport Anastassopoulos de 1998 évoque déjà l’idée d’une circonscription unique formée par le territoire des Etats membres afin d’élire une partie des députés européens. L’idée des listes transnationales a donc suscité un vif débat depuis plus de 30 ans au sein de l’Union.
Pourquoi faut-il réformer, cette loi électorale européenne ?
Cet acte législatif date de 1976 et sa dernière modification substantielle de 2002. L’Union européenne, le Parlement européen ainsi que les défis démocratiques ne sont plus les mêmes aujourd’hui. L’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne a complètement changé la donne. Une modification fondamentale est inscrite à l’article 14§2 du TUE, je cite : « le Parlement européen est composé de représentants des citoyens de l’Union » et à l’article 10 TUE, je cite à nouveau : « les citoyens sont directement représentés, au niveau de l’Union, au Parlement européen ». Auparavant, l’article 137 du TCE prévoyait, je cite, que « l’Assemblée, composée de représentants des peuples des Etats réunis dans la Communauté… ».
Nous passons donc d’une Assemblée qui représente les citoyens des Etats à un Parlement qui représente les citoyens de l’Union. Ce changement n’est pas simplement sémantique, il exprime surtout un changement de paradigme autour de la démocratie européenne. Une des raisons principales de la réforme est le respect du Traité de Lisbonne ainsi que le respect de la représentativité démocratique des citoyens de l’Union.
En quoi consiste la proposition de réforme?
La réforme de la loi électorale européenne est menée par le député socialiste et espagnol Domenec Ruiz Devesa. Il faut noter qu’une première tentative de réforme a eu lieu avant les élections de 2014 par Jo Leinen (S&D, DE) et Danuta Hubner (EPP, PL). Néanmoins, le Chypre, l’Espagne et l’Allemagne n’ont pas ratifié la réforme dans les délais prévus et les élections de 2014 se sont déroulés selon les règles existantes.
Avant de rentrer dans les détails de cette nouvelle proposition, il faut expliquer brièvement la procédure législative qui s’applique à la loi électorale. Ce dossier n’est pas adopté selon la procédure législative ordinaire mais selon une procédure spéciale dite d’approbation. La base légale est l’article 223 qui prévoit la procédure suivante : le Parlement européen doit élaborer un projet de résolution relatif à la loi électorale, ensuite le Conseil doit adopter à l’unanimité l’acte à proprement parler, puis le Parlement doit approuver l’acte. Enfin, chaque Etat membre doit ratifier l’acte selon ses propres modalités constitutionnelles. L’acte doit donc non seulement surmonter les obstacles politiques au sein du Parlement européen mais aussi ceux posés par le Conseil et puis par les ratifications nationales.
La proposition actuelle de Ruiz Devesa est très ambitieuse car elle prévoit entre autres:
- La création d’une circonscription commune de l’Union ce qui habilitera les listes transnationales (28 sièges au total)
- L’établissement d’une Autorité électorale européenne qui devrait veiller au bon déroulement des élections européennes
- L’option d’abaisser l’âge du droit de vote à 16 ans
- L’obligation d’assurer l’égalité femme-homme concernant les listes de candidats
- L’établissement de règles communes concernant les délais de diffusion des listes, le début des campagnes électorales etc.
- La tenue des élections le 9 mai.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Le Parlement européen a voté la résolution le 3 Mai 2022 avec 331 voix pour, 257 contre et 52 abstentions. Cependant il reste encore deux étapes essentielles à franchir avant les élections européennes de 2024 : l’accord du Conseil de l’Union européenne et la ratification des 27 Etats membres. La formation en charge de ce dossier est le Conseil des affaires générales qui réunit les ministres en charge des affaires européennes. L’adoption finale de ce dossier est très incertaine car il n’existe pas un consensus entre les Etats membres sur plusieurs sujets clés comme les listes transnationales ou la parité homme/femme des listes de candidats. L’unanimité au Conseil n’est pas un obstacle en soi pour l’adoption de l’acte car l’article 238 du Traité sur le fonctionnement de l’UE prévoit que l’abstention ne fait pas obstacle à l’adoption. Donc nous pourrions imaginer des négociations dans lesquelles un ou plusieurs Etats s’abstiennent pour faire avancer le dossier. Or, la ratification de l’acte par les Etats pose un véritable obstacle car ceux qui se seraient abstenus pourraient tout simplement retarder la ratification visant la tenue des élections européennes qui inhabiliterait donc son adoption ultérieure.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.