Elena Manso est étudiante au Master en Études Politiques et de Gouvernance Européennes au Collège d’Europe. Elle a étudié une double licence en Relations Internationales et Sciences Politiques à l’Université Carlos III de Madrid, et a également étudié à Sciences Po Bordeaux. Elena a été Youth Delegate au Conseil de l’Europe. Elle a travaillé au Parlement Européen au cabinet d’une eurodéputée et aussi au Ministère Espagnol des Affaires Étrangères, au sein de l’équipe organisateur de la Présidence Espagnole du Conseil. Afin de se spécialiser davantage dans l'analyse des politiques publiques en matière de changement climatique et de justice sociale, elle a été rédactrice du « Ideas Youth Report 2023 » du Parlement Européen, en se concentrant sur ces domaines-là.
Bonjour Elena Manso ! Dans seulement trois jours, la Présidence Espagnole du Conseil aura déjà atteint la moitié de son mandat. Quel bilan pourrait-on faire de ce premier trimestre ?
Bonjour, merci de me recevoir ! En fait, et pardonnez-moi l’expression, ces derniers mois on a vu une présidence sans précédents. Tout d’abord, on a eu un lancement de la présidence qui a été complètement marqué par l’annonce surprise d’élections anticipées – un mouvement du chef du Gouvernement Socialiste Pedro Sánchez, juste après la défaite du parti socialiste aux élections locales et régionales.
Si on observe les titres des journaux nationaux et internationaux, on pouvait voir des expressions du type « En zone de Turbulences », « avec un avenir incertain », « en ébullition électorale »... Ces mots-là ont plus de sens aujourd’hui que jamais : car c’est aujourd’hui, 27 septembre, que le principal adversaire politique de Sánchez (le leader du Parti Populaire de centre-droite, Monsieur Feijóo) va affronter le vote finale à la séance d’investiture.
Quoi qu’il arrive aujourd’hui, on pourrait dire que cette présidence espagnole sera l’une des seules à avoir duré aussi longtemps avec un gouvernement « en sursis ».
Et comment cette crise électorale a-t-elle affecté (ou pourrait) affecter la présidence espagnole ? Avec l’approche imminente des élections européennes, qui se produiront en juin 2024, ne sommes-nous pas à un moment critique ?
Si, c’est pour ça qu’on pourrait décrire la présidence espagnole comme « la dernière balle législative » (puisqu’elle est la dernière présidence complète du conseil avant les élections de 2024), qui se trouve en fait entre « deux élections » : l’espagnole et l’européenne. Nous verrons dans le futur s’il aurait fallu changer le titre de cet épisode même dans le cas d’une troisième élection nationale…
De toute façon, dans cet ouragan électoral, le bruit se fait plus entendre à l’extérieur qu’à l’intérieur. Le déroulement de la présidence n’est pas tant affecté par le changement du gouvernement : un changement des priorités et du calendrier législatif serait totalement irréalisable en ce moment. Il est vrai que l’agenda présenté par l’exécutif de Sánchez n’est pas loin des priorités communes européennes (ni de celles des Espagnols au niveau national d’ailleurs) : après tout, elles visent à la réindustrialisation et l’autonomie stratégique ouverte, la transition écologique, promouvoir la justice sociale et renfoncer l’unité européenne – mais aussi garder en esprit la relation avec les autres régions du monde comme la Méditerranée et l’Amérique Latine.
Même si le candidat Feijóo a déclaré pendant la campagne électorale que le PP n’était pas informé des priorités du programme de la présidence, la vérité est que les différents partis espagnols au Congrès avait déjà adopté un rapport sur ces mêmes priorités (tout autant les socialistes comme le parti populaire). Un rapport qui, en effet, a servi de source d’inspiration pour le programme final. Nous devons nous rappeler aussi, que le rôle d’Espagne sous la présidence du Conseil devrait plus ressembler à un arbitre impartial qu’un acteur imposant ses propres intérêts (bien qu’elle puisse impulser son agenda et ses priorités).
Alors, pourrions-nous dire que la présidence espagnole ne sera pas si affectée par l’instabilité politique nationale ?
Il y a, bien sûr, des situations où la politique s’infiltre dans le travail plutôt « technique » d’une présidence tournante. On le constate, premièrement, sur des situations dites « atypiques » : par exemple, le président « en sursis » n’a toujours pas encore présenté ses priorités à la séance plénière de Strasbourg. Ou, par exemple, l’inclusion sur l’agenda la semaine dernière pour voter si le catalan, le basque et galicien deviendraient pas des langues officielles de l’Union. Tous ces petits signes atypiques montrent une claire instabilité électorale espagnole.
D’autres facteurs sont les rapports-clés – la directive sur les conditions de travail des plateformes, la modification du marché électrique, ou le Pacte Migratoire. Il s’agit ici de rapports politiquement très sensibles. Même si l’Espagne doit agir comme un modérateur impartial et un simple canal de la volonté du Conseil, son rôle est clé pour conduire les négociations et pour définir l’accord final avec le Parlement.
On voit donc comment l’activité législative de l’Union s’intensifie à l’approche des élections européennes – un schéma récurrent à chaque législature. L'Espagne pourra-t-elle faire face à ce sprint législatif dans la situation actuelle ?
Tout à fait, c’est exactement ce qu’il se passe. Dans la dernière législature, le nombre de directives et régulations adoptés a presque doublé par rapport à la moyenne annuelle. Mais merci pour cette question, car elle nous permet de voir la lumière à la fin du tunnel.
Selon des sources du Ministère des Affaires Étrangères Espagnol et de l’équipe d’organisation de la présidence, l’objectif est d’adopter environ 320 rapports (législatifs ou pas) – dont 120 sont prioritaires. Pour mener à bout cette mission chimérique, la présidence doit organiser une centaine de trilogues (c’est-à-dire des négociations tripartites entre la Commission et le Parlement). Pour le moment, il y en a eu 38. Les sources du Ministère affirment qu’avant octobre ils arriveront à 41 et que, au deuxième trimestre, ils en organiseront 60 plus. Ce n’est pas un mauvais résultat pour une présidence qui était vide pendant le mois d'août estival, et qui le sera à nouveau le mois de Noël.
Au milieu du bruit des pactes électoraux et une campagne qui semble ne jamais finir, les cadres moyens de l’équipe espagnole travaillent d’arrache-pied pour mener la présidence à bon port.
Entretien réalisé par Laurence Aubron