Comme toutes les semaines, nous retrouvons Albrecht Sonntag, de l’ESSCA Ecole de Management, à Angers.
Il y a trente ans, le 20 septembre 1992, a eu lieu le référendum français portant sur la ratification du Traité de Maastricht. Un moment qui, selon vous, a laissé une trace plus profonde qu’il n’y paraît.
En tout cas, moi, elle m’a vraiment marqué, la campagne référendaire qui précédait le vote
du 20 septembre. Ce fut une illustration de la manière dont un tel référendum peut
développer une dynamique émotionnelle inattendue, qui laisse la porte ouverte à une
certaine instrumentalisation de peurs enfouies.
Je m’étais installé en France un an auparavant, et j’étais franchement surpris de voir, dans
le débat du printemps et de l’été 1992, l'Allemagne prendre une place disproportionnée
dans le débat. Il y avait ceux qui annonçaient que ce traité, avec sa feuille de route pour
une monnaie commune, allait permettre à l’Allemagne de dominer l’Europe à outrance. Et
il y avait ceux qui insistaient que seul ce traité et la monnaie commune allait nous
permettre d’éviter que l’Allemagne domine l’Europe à outrance. C’en était presque drôle,
mais cela m’a quand même intrigué, cette peur profonde – partagée par les deux camps ! –
du voisin trop encombrant.
Il faut dire qu’il venait de se réunifier et qu’il avait effectivement gagné en poids !
C’est vrai, et il était évident que cela allait chambouler les équilibres ô combien délicats au
sein de la Communauté européenne.
Mais je dois reconnaître qu’il n’y avait pas que cet agrandissement qui donnait lieu à des
inquiétudes. 1991/92, c’était aussi l’époque d’une série d’attentats extrémistes contre des
foyers de demandeurs d’asile, notamment – mais pas exclusivement – à l’Est de
l’Allemagne. On était en droit d’être préoccupé de ce réveil d’un nationalisme haineux et
violent.
Et c’était aussi le moment où le Bundestag décida de transférer la capitale fédérale de
Bonn, ville moyenne sympathique et ennuyeuse sur les bords du Rhin, vers Berlin, à l’Est,
avec toute la mémoire de militarisme prussien et d’impérialisme nazi qui y est associée.
Ajoutez à cela la domination, pas du tout imaginaire mais bien réelle, qu’exerçait sur le
système monétaire européen la banque fédérale allemande – la fameuse « Bundesbank »,
dont le nom devenait quasiment un gros mot durant la campagne référendaire – et vous
avez un cocktail plutôt toxique, au goût de méfiance.
Au point où vos confrères de Télérama, portés par un élan de conciliation, mettaient en
grand sur la une de leur magazine la semaine même du référendum : « Pour en finir avec la
peur de l’Allemagne » !
Ah, elle doit être « collector » aujourd’hui, cette couverture !
Culte, même ! En tout cas, je l’ai précieusement gardé, ce numéro.
Mais le référendum de Maastricht a laissé d’autres traces, plus profondes que la peur d’un
voisin certes soudainement XXL, mais aussi empêtré pour un bon moment dans le défi
immense posé par une réunification difficile sur tous les plans.
En France, le référendum a approfondi des clivages sociaux et géographiques qui ont
perduré jusqu’à nos jours. Si vous juxtaposez les cartes électorales des référendums 1992
et 2005, la stabilité des attitudes est remarquable. Et on en trouve même des échos assez
nets lors des affrontements, à la logique binaire, des deuxièmes tours des présidentielles
2017 et 2022.
A vous entendre Albrecht Sonntag, on dirait que le référendum sur Maastricht, c’était la fin d’une époque ?
C’est bien ce qu’a constaté la recherche en études européennes. Ce moment peut
parfaitement bien être identifié comme celui où se termine définitivement la longue
période marquée par ce qu’on appelle « le consensus permissif » des populations
européens envers la construction européenne. L’époque d’un genre d’un consentement
tacite de la part des populations envers leurs dirigeants, d’une permission qui leur était
accordée d’office de poursuivre l’intégration européenne.
Mais Maastricht était un « tipping point », un point de bascule vers une interrogation sur la
finalité même du processus d’intégration, sur son ancrage dans le marché comme plus
petit dénominateur commun, sur la souveraineté des Etats et les limites du supranational.
Et vous voulez que je vous dise ? C’était une bonne chose. Car cette soudaine éruption de
la méfiance, c’était le signe d’un réveil démocratique, d’un début d’appropriation par les
populations d’une question qui les concerne. La fin du « consensus permissif », c’est le
début d’une demande forte d’une meilleure explication de ce qui se passe.
Explication qui fait partie de notre mission à Euradio !
Vous voyez, votre belle antenne fait, elle aussi, indirectement partie de l’héritage du
référendum sur Maastricht.
Et cela valait bien un édito !
Entretien réalisé par Laurence Aubron