Comme toutes les semaines, nous retrouvons Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers.
Cette semaine, Albrecht Sonntag s'intéresse aux résultats d’une enquête d’opinion publique originale, conduite par la Fondation Jean Jaurès et la Friedrich-Ebert Stiftung, et publiée il y a quelques jours.
Ce sont deux fondations, on pourrait dire des « think-tanks », dont le nom indique qu’elles sont bien affiliés à la gauche. Jean Jaurès, cela renvoie évidemment à la naissance du mouvement socialiste français, et Friedrich Ebert, né il y a 150 ans exactement, a été le premier Président de la République de Weimar.
Ces deux organisations de la société civile avaient visiblement envie d’avoir le cœur net au sujet de la notion de « souveraineté européenne » dont Emmanuel Macron semble avoir fait une raison d’être de l’Union européenne du XXIème siècle et qu’il ne cesse de promouvoir ou revendiquer dans ses discours. Qu’elle soit d’ordre sanitaire, technologique, numérique, ou encore stratégique – la souveraineté européenne, c’est un véritable leitmotiv.
Leitmotiv, je veux bien. Mais concept aux contours un peu flous, vous ne trouvez pas ?
Si, la souveraineté, même si elle fait partie du vocabulaire préféré des hommes et des femmes politiques, est une notion, disons, « élastique ». Et l’enquête, menée avec le concours de l’institut IPSOS démontre à quel point les Européens y projettent des significations différentes, notamment en fonction de leur bagage respectif linguistique, historique et culturel, mais aussi, de manière plus surprenante, des compréhensions communes.
Ce n’est pas un sondage franco-allemand – au contraire, il couvre en plus six autres pays, à savoir l’Italie, l’Espagne, la Pologne, la Roumanie, la Lettonie, et la Suède. Ceci dit, les différences d’interprétation entre la France et l’Allemagne sautent quand même aux yeux.
Lesquelles ? Pouvez-vous nous résumer quelques exemples ?
Cela commence déjà par l’association spontanée que font les citoyens quand ils entendent le mot « souveraineté ». En Allemagne, on la conçoit comme synonyme d’ « indépendance », on pense à « l’Etat », à « la liberté ». Normal, ce pays n’a retrouvé sa souveraineté pleine et entière qu’avec le traité de la réunification, il y a trente ans. En revanche, le premier mot qui vient, de très loin, à l’esprit des Français est « le Roi » suivi par « le pouvoir ». Visiblement, des siècles de règne d’un « souverain » monarchique ont laissé des traces. Il n’est que logique que le terme soit aussi connoté de manière plus négative par les Français que par les Allemands, qui sont eux trois fois plus nombreux à le percevoir comme positif.
Et sur le plan européen, plus précisément ?
Eh bien, il semble que Monsieur Macron ne parle pas dans le vide. Déjà, pour 58% des répondants, « souveraineté européenne » ne représente pas une expression contradictoire. Ce qui montre un dépassement intéressant du seul cadre national. 63% disent qu’ils voient plutôt bien ce que revêt cette expression, et elle évoque quelque chose de positif pour plus de la moitié des répondants. Attention : l’analyse détaillée révèle qu’elle est perçue de manière négative par 15% des Allemands, mais 35% des Français – ce qui renvoie avec une drôle de précision au potentiel de l’extrême droite sur le plan national respectivement.
Dans l’ensemble, le concept cher à notre président s’en sort plutôt bien. Dans tous les domaines auxquels il l’applique, les citoyens le suivent (du moins dans l’analyse) : économie et énergie, sécurité et défense, alimentation et santé, etc. Et ils sont à même de hiérarchiser les facteurs qui freinent le développement de cette souveraineté partagée, à commencer par certains dirigeants nationalistes (ce qui choque d’ailleurs bien plus en Allemagne qu’en France, soit dit en passant).
Ah, le couple franco-allemand ! Sa proximité, ses liens, mais aussi ses contradictions.
Comme dans chaque couple qui dure ! Mais blague mise à part, le sondage de nos deux fondations politiques fait partie de ceux qui valent la peine d’être étudiés de près. Les questions sont pertinentes, et les réponses sont détaillées non seulement selon la nationalité, mais aussi selon le groupe d’âge ou la catégorie socio-professionnelle. C’est plus intéressant de passer par la lecture des graphiques que par les communiqués de presse toujours un peu réducteurs. En tout cas, je mettrai le lien de téléchargement sur votre site, ainsi que des liens vers des analyses qui approfondissent certains résultats.
D’avance merci. De toute façon, nous n’avons pas fini d’entendre parler de ce concept, autant s’y intéresser de près.
C’est vrai, rien que la Chine et les Etats-Unis feront en sorte qu’il ne disparaisse pas de si vite de l'agenda politique.
Interview réalisée par Laurence Aubron
Liens complémentaires :
- Pervenche Berès, La souveraineté européenne : un concept au coeur des débats dans l'Union Européenne, 1er mars 2021, accessible via ce lien
- Gilles Finchelstein, Dix leçons sur les Français et la souveraineté européenne, 1er mars 2021, accessible via ce lien
- Francis Wolff, Le souverain peut-il avoir deux corps : la nation et l'Europe ?, 1er mars 2021, accessible via ce lien
Toutes les éditos d'Albrecht Sonntag sont à retrouver juste ici