Le « bloc-notes européen » d’Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers, tous les vendredis sur les ondes d'euradio.
Le 7 février 1992, c’était la signature du Traité de Maastricht. A l’occasion des 30 ans de cet événement, vous avez revisité, en compagnie de deux Grands Témoins de l’époque, la période couvrant l’élaboration, la négociation, l’accord, la signature, et enfin la difficile ratification de ce texte important.
C’est vrai que j’ai eu le grand plaisir d’accueillir en visioconférence Elisabeth Guigou, Ministre déléguée aux affaires européennes à l’époque, et Joachim Bitterlich, le diplomate qui a été, pendant plus d’une décennie, le conseiller du chancelier Helmut Kohl pour la politique européenne et étrangère. Tous les deux se sont trouvés fortement impliqués dans ce processus, et tous les deux avaient visiblement très envie de partager les souvenirs et les leçons qu’ils en retiennent.
Quelles conclusions avez-vous tirées de cet échange ?
D’abord celle qu’ils n’avaient vraiment pas besoin de moi pour animer la conversation ! La grande complicité entre la ministre socialiste française et le diplomate du camp chrétien-démocrate allemand a frappé tout le monde. Ils étaient franchement heureux de se retrouver à cette occasion. Je me serais éclipsé en cours de route, cela ne les aurait pas du tout empêchés de poursuivre leur discussion aussi dynamique qu’amicale.
Plus sérieusement, c’était passionnant. Leur récit, souvent convergent, parfois complémentaire, a confirmé certaines vérités historiques, mais aussi mis en cause quelques idées reçues.
Alors donnez-nous quelques exemples concrets issus de votre débat.
Bien volontiers. Tout d’abord, il y avait unanimité qu’il s’agissait là d’un événement qui méritait, avec le recul de trois décennies, pleinement l’adjectif « historique ». Tant Madame Guigou que Monsieur Bitterlich éprouvent une grande satisfaction d’avoir contribué « au plus grand progrès dans la construction européenne depuis le Traité de Rome en 1957 ».
Ils étaient également entièrement d’accord que ce progrès dépendait en très grande partie de l’entente franco-allemande sur la nécessité d’un saut en avant. Entente solide sur la durée, et sans laquelle il était impossible de déclencher une dynamique. Une expérience qui a fait de nos deux invités des défenseurs farouches du principe d’ « intégration différencié », c’est-à-dire l’acceptation de « groupes pionniers » d’Etats-membres désireux d’aller de l’avant, méthode parfois appelée « Europe à géométrie variable ». Enfin, ils ont souligné à plusieurs reprises à quel point la personnalité des dirigeants en place joue un rôle essentiel dans l’histoire de l’Union. Ils ont considéré que le triangle composé par François Mitterrand, Helmut Kohl, et Jacques Delors, représentait une constellation exceptionnelle d’autorité crédible et d’engagement fiable. On a peut-être tendance à sous-estimer le poids des convictions et de l’intelligence politique de certains individus, « prêts à prendre des risques politiques face à leurs partis respectifs et une opinion publique sceptique à la maison ». L’impact du vrai leadership, en somme.
Vous parliez aussi d’idées reçues. A quoi faites-vous allusion ?
L’un des raccourcis les plus fréquemment avancés sur la genèse de l’Euro – comme quoi l’Allemagne avait été obligé de « sacrifier le Deutsche Mark », symbole national et instrument de puissance, pour obtenir le soutien de la France et des autres partenaires à sa réunification – n’a trouvé aucune grâce aux yeux de nos deux témoins de l’époque.
Dès juin 1988, à un moment où personne n’envisageait sérieusement la fin du Mur de Berlin et de la RDA, Mitterrand et Kohl s’était mis d’accord lors d’une rencontre à Evian, pour aller ensemble vers une union monétaire. Officiellement, ils parlaient davantage de mouvements de capitaux et d’harmonisation fiscale, mais c’est bien à ce moment-là qu’ils ont décidé de charger Jacques Delors d’un rapport sur le sujet de la monnaie commune. Aucun lien avec la réunification.
Autre détail intéressant souvent négligé, au sujet des fameux « critères de Maastricht », les seuils de 3% du PIB pour le déficit budgétaire et de 60% du PIB pour la dette publique, si souvent conspués pour leur sévérité et désormais, grâce à la pandémie, enfin susceptible de faire l’objet d’une révision : ces critères n’ont pas été fixés et imposés par l’Allemagne, mais définis à Bercy, au sein du Ministère des finances français.
Pour conclure, cette rencontre a surtout rappelé le sens même de l’expression « construction européenne ». Car c’est de cela qu’il a été question. Il est éclairant, soit dit en passant, que cette expression, souvent plus parlant et enthousiasmant que le mot savant d’ « intégration » n’ait pas d’équivalent en anglais.
Lors de notre échange lundi soir, elle a été incarnée de manière crédible et joyeuse par deux artisans qui y ont apporté leur pierre respective. Et je profite de l’antenne pour les remercier, en tant que simple citoyen, pour leur contribution.
Rien à ajouter. Si ce n’est que vous allez nous mettre le lien pour accéder au replay d’ores et déjà disponible sur Youtube.
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