Comme toutes les semaines, nous retrouvons Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers.
Cette semaine, suite de notre stage d’observation autour du scrutin proportionnel. Deuxième étape : les Pays-Bas. Mais avant qu’on s’y rende, je tiens quand même à préciser que tout ce que vous avez dit la semaine dernière au sujet des scrutins régionaux dans deux Länder allemand, s’est avéré. Bravo pour l’analyse !
Merci beaucoup, Laurence, cela fait toujours plaisir. Mais ce n’est pas fini. Je recommande aux auditeurs de suivre un peu la formation des coalitions de gouvernements régionaux, qui ne sera pas sans conséquences sur la grande campagne électorale de cet été. Rappelons que le successeur de Mme Merkel sortira des urnes fin septembre.
On aura l’occasion d’en parler, c’est certain !
Mais maintenant, ne perdons plus de temps, et filons aux Pays-Bas. Où on a donc voté cette semaine, avec ouverture des bureaux durant trois journées entières, COVID et distanciation sociale oblige. Quant aux résultats, on a bien noté la victoire annoncée de Mark Rutte, reconduit pour un 4ème mandat de Premier ministre, le renouveau surprenant de « D66 », les libéraux alliés à la République en Marche au Parlement européen, la poursuite du déclin de la gauche traditionnelle, ainsi que l’apparition de VOLT, ce petit parti pro-européen et transnational qui entre pour la première fois dans la chambre néerlandaise.
Mais comme promis, ce ne sont pas les résultats qui nous intéressent, mais le scrutin lui-même. Et il est fascinant. En France, on parle toujours d’une éventuelle « dose » de proportionnelle, alors qu’aux Pays-Bas, c’est la totale qu’on applique, de manière assez radicale.
Alors, regardons cela de plus près. Quelles sont les conséquences de ce choix sur la gouvernance du pays et sur la vie politique en général ?
Eh bien, pour mieux comprendre, rien ne vaut un guide local. J’ai donc consulté mon ami Matthijs van Wolferen, jeune prof de droit à l’Université de Groningen, observateur lucide du paysage politique néerlandais.
Matthijs avait déjà bien éclairci ma lanterne il y a quatre ans sur les effets secondaires de la proportionnelle intégrale, au-delà de la laborieuse constitution d’une majorité gouvernementale comprenant quatre (!) partis différents. Pareil pour 2021, et cet aspect est parmi ceux, nous l’avons dit la semaine dernière, qui effraient le plus les Français.
Mais il y a deux autres conséquences qui se sont encore approfondies depuis quatre ans : la fragmentation de l’échiquier politique, et la volatilité des électeurs. La seconde étant une conséquence de la première.
Je m’explique : contrairement à l’Allemagne, les Pays-Bas n’exigent pas de seuil minimum de 5% des votes pour entrer au Parlement. Résultat : il suffit de 70 000 votes pour grapiller un siège parmi les 150 que compte la chambre. Conséquence : les mouvements les plus petits ont leur chance et on risque d’avoir seize ou dix-sept formations différentes au Parlement.
C’est sûr que c’est inconcevable en France.
Imaginez un peu une Assemblée nationale française composée selon le premier tour de la présidentielle, avec ses onze candidats en 2017, ou les seize qu’il y avait en 2002.
Mais ce qui fait figure d’épouvantail pour les Français n’est même pas un sujet pour les Néerlandais. Matthijs van Wolferen me l’a confirmé : il y a un vrai consensus que cette pluralité radicale est fondamentalement saine, car elle reflète les priorités des gens. Ils votent pour des causes, plutôt que par calcul, et ils savent que leur cause a de bonnes chances d’être représentée. C’est un système où les principes du « vote utile » ou du « vote contre », comme nous le pratiquons dans nos deuxièmes tours, ne veut rien dire. Et les acteurs politiques se gardent bien de mettre le système en cause.
Dans une telle configuration, il n’est aussi que logique que le vote soit plus volatile. L’éventail de l’offre est tel qu’on peut facilement sauter d’un parti à un autre, en fonction des « niches » et des « nuances », comme le formule Matthijs.
Il y a d’autres effets secondaires : dans aucun autre pays, le « micro-targeting », cette méthode de ciblage ultra-précis de petites communautés par le biais des réseaux sociaux, n’est aussi développé. Du coup, les besoins financiers des petits partis pour se faire connaître et trouver leur public sont nettement moins élevés que pour les partis traditionnels de masse.
Une dernière tendance à relever, un peu plus inquiétante, est l’émergence de partis explicitement identitaires, comme « DENK », qui s’adresse à un public de jeunes issus de la migration, ou encore le « Forum pour la démocratie », défenseur auto-proclamé des gens ordinaires « bien de chez nous », avec toutes les allusions xénophobes qui vont avec.
Voilà ; on arrive au bout de notre analyse « du variant néerlandais du virus démocratique », si vous me permettez ce jeu de mot un peu osé.
Variant drôlement intéressant. C’est tellement proche, et tellement différent !
Tout le charme de l’Europe ! Les Pays-Bas, cela vaut le détour. C’est un laboratoire devant notre porte où se conduit une expérience démocratie presque post-moderne.
Interview réalisée par Laurence Aubron
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crédits photo : Sebastiaan ter Burg, CC BY 2.0, via Flickr