Aujourd’hui, retour en arrière : il y a 40 ans, le 13 janvier 1980 pour être précis, le parti « Die Grünen » a été fondé en Allemagne. Par les temps qui courent, cela mérite qu’on s’y attarde.
Déjà à l’époque, cela le méritait ! Même s’il faut mettre cet anniversaire en perspective, car l’émergence des partis écologistes ne s’est, de toute évidence, pas produite à une date précise.
Souvenez-vous de René Dumont, candidat à la présidentielle française de 1974, au nom de mouvements écologistes éparpillés et peu structurés. Ce que l’on sait moins, c’est que la Suisse connaissait déjà un « mouvement populaire pour l’environnement » dès 1972, et que le Royaume-Uni a vu se constituer un parti à la même époque, qui a été sans doute le premier à utiliser le terme « ecology » dans son nom dès 1975.
Mais c’est bien les écologistes allemands dont on a parlé le plus et qui ont imposé le mot « vert » et la couleur qu’il désigne comme un label politique à prendre au sérieux.
C’est vrai. Mais leur naissance est aussi survenue en plusieurs étapes.
Je me souviens très bien d’une personnalité aujourd’hui oubliée, le conservateur bavarois Herbert Gruhl, qui a quitté son parti avec fracas en été 1978, en reprochant à son chef de parti, un certain Helmut Kohl, de s’accrocher bêtement au dogme de croissance. Cela m’avait fait forte impression, car cela prouvait que l’écologie n’était pas une affaire de gauchistes hirsutes en salopette.
Ceci dit, Herbert Gruhl n’a pas trouvé son bonheur dans le parti qu’il a porté, en janvier 1980, sur les fonts baptismaux. Il s’en est éloigné assez rapidement.
Le vrai fondement des Verts allemands étaient les « Bürgerinitiativen », les « initiatives citoyennes », qui poussaient comme des champignons dans les années 1970. Willy Brandt avait formulé le slogan génial « Oser plus de démocratie ! », et c’est ce qu’elles faisaient, en opposant à leurs élus un refus du nucléaire, mais aussi un pacifisme radical.
Evidemment, ce n’était pas chose facile de réunir toutes ces initiatives particulières et plutôt locales dans un programme idéologique cohérent pour former un parti politique à peu près homogène. Et les archives nous confirment que le congrès fondateur, en janvier 1980, était franchement bordélique – ça partait dans tous les sens, les débats étaient, selon Der Spiegel, « on ne peut plus chaotiques ».
Ce qu’ils devaient avoir en commun, c’est tout de même le socle environnemental, non ?
Bien sûr. Et dans ce domaine, il y avait d’ores et déjà un corpus théorique et conceptuel sur lequel construire un manifeste de renouveau politique.
La première « Conférence des Nations Unies sur l'Environnement Humain » avait déjà eu lieu en 1972, et ses 26 principes, aussi appelé « Déclaration de Stockholm », étaient fortement influencés par les travaux du « Club de Rome » qui venait de publier son rapport détonnant sur « Les limites de la croissance ». On pourrait aussi citer le livre « Le principe responsabilité » du philosophe Hans Jonas, paru en 1979, et qui formule l’impératif d’une éthique du « développement durable » pour les générations futures. C’est l’arrière-grand-père spirituel de Greta Thunberg !
En tout cas, les fondateurs qui ont formulé le premier programme des Grünen de 1980 avaient bien intégré toutes ces lectures.
Où en sont-ils aujourd’hui, 40 ans après ? Quel bilan peuvent-ils tirer ?
C’est un bilan très mitigé. D’un côté, ils sont définitivement arrivés au milieu de la société. Ils sont au pouvoir dans des Länder industriels comme la Hesse ou le Baden-Württemberg, ce dernier étant à lui tout seul plus grand que l’Autriche ou le Portugal. Ils ont gagné des mairies prestigieuses comme celles de Stuttgart ou Hanovre. Et ils ont réussi à imposer la thématique environnementale à l’ensemble de l’échiquier politique. Contrairement à leurs homologues britanniques ou français, ils n’ont pas été handicapés par un scrutin majoritaire toujours défavorable à des partis de taille modeste.
De l’autre côté, si je peux me permettre l’expression, cela leur fait une belle jambe. A quoi sert le succès politique s’il ne se traduit pas dans la mise en œuvre concrète de leurs revendications principales ? Il est vrai qu’ils peuvent être fiers d’avoir inspiré beaucoup de mesures pour la protection de l’environnement et suscité une prise de conscience écologique répandue. Mais sur le plan international, si peu a bougé ! Il y a 40 ans, ils ont été très explicites sur l’impossibilité d’une croissance infinie dans un monde fini. On ne peut pas dire qu’ils aient été suivis sur ce point, pourtant décisif face au changement climatique.
Bilan contrasté donc malgré une réussite inattendue. On verra s’il aura évolué d’ici leur 50ème anniversaire !
Ce serait une bonne chose pour nous tous.