Dans leurs chroniques sur euradio, Jeanette Süß et Marie Krpata dressent un état des lieux des relations franco-allemandes et de la place de la France et de l’Allemagne au sein de l’UE et dans le monde. Elles proposent d’approfondir des sujets divers, de politique intérieure, pour mieux comprendre les dynamiques dans les deux pays, comme de politique étrangère pour mieux saisir les leviers et les freins des deux côtés du Rhin.
Bonjour Marie, vous allez aujourd’hui nous parler des relations transatlantiques. Donald Trump prendra ses fonctions comme président des Etats-Unis en début d’année prochaine. Il s’agit pour la France et l’Allemagne de se préparer à faire face à un président imprévisible et dont le style est transactionnel. Alors, pour commencer, j’aimerais vous demander : comment la victoire de Donald Trump a-t-elle été accueillie en France et en Allemagne?
Après l’annonce de la victoire de Donald Trump, le président français et le chancelier allemand se sont entretenus rappelant la nécessité d’une Europe unie, forte et souveraine. Il y a un sentiment d'urgence quant à la nécessité de se repositionner face aux Etats-Unis, tant le président-élu américain a pu inquiéter par ses prises de positions autant par rapport à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord, l’OTAN, mais aussi en matière de politique commerciale.
On peut d'ailleurs aussi noter le positionnement du Premier ministre polonais, Donald Tusk, peu avant l’élection américaine, qui appelait à ce que l’Europe prenne ses responsabilités et cesse de se contenter à sous-traiter sa sécurité et sa défense aux Etats-Unis. Dans un contexte où les voix de la France et de l’Allemagne, affaiblies sur le plan intérieur, ont perdu de leur résonance, l’attention se dirige de plus en plus vers la Pologne.
Pouvez-vous nous parler de quelques moments marquants aux implications transatlantiques pendant le mandat de Joe Biden ?
Sous Joe Biden, il y a eu plusieurs épisodes difficiles comme le retrait d’Afghanistan en août 2021. On peut aussi mentionner le partenariat « AUKUS » entre l’Australie, les Etats-Unis et le Royaume-Uni qui s’accompagnait de l’annulation par l’Australie d’un contrat sur l’achat de sous-marins français. Un coup dur pour la France. En outre, l’ « Inflation Reduction Act » était une pomme de discorde. Ce programme prévoyant des crédits d’impôts et des subventions pour les entreprises qui produisent sur le marché américain, peut en effet mener à ce que des entreprises établies en Europe délocalisent leurs activités aux Etats-Unis.
De part et d’autre du Rhin, il y a en revanche beaucoup de gratitude pour l’aide des Etats-Unis à l’Ukraine et donc pour leur contribution à la sécurité européenne. Côté allemand on a en outre pu noter une étroite concertation entre Joe Biden et Olaf Scholz sur l’envoi de matériel de guerre à l’Ukraine, véritable démonstration de la proximité germano-américaine. L'élection de Donald Trump risque de mettre fin à cette lune de miel.
Justement, à quels changements faut-il se préparer en comparaison à la présidence de Joe Biden ?
L’OTAN a été revigorée depuis 2022 mais qu’en sera-t-il sous un président Trump ? Les Européens craignent une bilatéralisation des relations avec Donald Trump qui fragiliserait l’Union européenne.
On peut par exemple imaginer que les Européens s’empresseront auprès des Etats-Unis pour obtenir des garanties de Donald Trump sur le soutien américain en cas d’attaque, afin de dissuader la Russie de quelconque acte hostile. La France et l’Allemagne atteignent tous les deux l’objectif de 2% de dépenses en matière de défense rapporté à leur produit intérieur brut, la France souhaite à présent développer le pilier européen de l’OTAN et l’Allemagne tentera sans doute de se rassurer sur le maintien de la présence américaine en Europe en achetant plus de matériel américain.
Sur le plan de l’économie, il faut s’attendre à l’ « Amérique d’abord ». Un véritable défi pour la compétitivité de l’Europe, sujet sur lequel Emmanuel Macron n’avait pas manqué d'alerter lors de sa visite d’Etat à Washington fin 2022 faisant allusion au « Inflation Reduction Act » de Joe Biden.
Pour ce qui est du commerce, l’Europe doit se préparer aux droits de douane de 10 à 20% sur les importations européennes annoncées par le président-élu américain mais aussi veiller à ne pas devenir la victime collatérale des droits de douane que Trump veut mettre en place contre la Chine, le Canada ou le Mexique. L’Allemagne craint particulièrement pour son industrie automobile.
Quels points de tension peut-on anticiper dans les années à venir du fait de ces évolutions ?
Les Etats-Unis souhaitent que l’Europe prenne davantage de responsabilité pour sa sécurité et sa défense. Se pose la question du renforcement de la base industrielle et technologique de défense européenne. La France souhaiterait produire davantage en européen et acheter moins d’armes à l’étranger. Mais elle fait face à l’opposition de certains Etats, notamment sur l’endettement commun et la préférence à l’achat de matériel européen.
La question de l’Ukraine reste au centre des préoccupations européennes et les Européens doivent se mettre d’accord sur les garanties de sécurité pour l’Ukraine et, à plus long terme, sur l’architecture de sécurité européenne, pour disposer d’une base de discussion face à Trump, s’ils souhaitent, comme l’exige Emmanuel Macron, être à la table des négociations au même titre que l’Ukraine, et ne pas être court-circuités par la Russie et les Etats-Unis.
Autre sujet épineux : la Chine. Donald Trump est susceptible d’exiger des Européens qu’ils sortent du flou face à la Chine. Cela suppose que l’Allemagne fasse des choix difficiles quant à ses approvisionnements et ses débouchés tandis que la France devra clarifier son positionnement jusque-là très ambigu comme pays « allié mais non-aligné » face aux Etats-Unis. Bref, au fur et à mesure, la marge de manœuvre de l’UE se réduit toujours un peu plus.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.