« Entendez-vous la Terre ? », c’est le nom que porte la chronique réalisée par Fanny Gelin, étudiante en master Affaires Européennes à Sciences Po Bordeaux, qui décode pour vous chaque jeudi l’actualité environnementale de l’Union européenne.
Alors Fanny, quels ont été les moments verts de la semaine ?
La Terre nous parle de « sentience » cette semaine. En ce moment, il est difficile de garder le moral en écoutant l’actualité internationale. Alors, au milieu de l’anxiété que certains d’entre nous peuvent ressentir, j’ai eu envie de nous faire rêver d’un autre monde en parlant du règne animal. Alors, d’après vous Laurence, qu’est-ce que la « sentience » ?
Um, je dirais que ce mot ressemble au verbe sentir…
Exactement ! Le concept de « sentience » vient du latin « sentire » qui signifie percevoir par les sens. Au 18e siècle, les philosophes employaient ce concept pour distinguer la raison de la capacité à ressentir. Actuellement, ce terme désigne la capacité à vivre des expériences subjectives et des sensations, comme la douleur, le plaisir ou encore divers ressentis. La sentience s’est ensuite affirmée comme une notion centrale de l’éthique environnementale : car si nous autres, humains, sommes des êtres sentients, de nombreux autres êtres vivants le sont également.
C’est-à-dire ? Comment reconnaît-on un être sentient ?
Selon l’état actuel des connaissances scientifiques, la sentience est reconnaissable à la présence de nociception chez un animal, c’est-à-dire de perception de la douleur : on peut donc considérer qu’un être vivant est sentient s’il possède un système nerveux, perçoit la douleur et y réagit en tentant par exemple de l’éviter, de se soigner et de s’en prémunir. En réalité, la sentience serait une forme d’avantage évolutif : être capable de ressentir la douleur et de faire des choix conscients permet en effet de s’adapter à de plus nombreuses situations. Cependant, cette faculté est relativement énergivore. C’est pourquoi à l’heure actuelle, les chercheurs considèrent que tous les êtres vivants ne sont pas sentients, c’est notamment le cas des individus immobiles.
Pour donner des exemples à nos auditeurs, quels animaux sont considérés comme sentients et ceux qui ne le sont pas ?
On compte parmi les animaux sentients la grande majorité des vertébrés, dont les poissons et les reptiles, les céphalopodes comme la pieuvre, les crabes, les crevettes, ou encore certains insectes. A l’inverse, il est vraisemblable que les mollusques ne sont pas des êtres sentients. Néanmoins, il est important de noter que cette liste illustre l’état actuel de la recherche en matière conscience de soi animale et pourrait évoluer. Nous avons déjà fait du chemin mais pourtant, il suffit de visiter le Muséum national d’histoire naturelle de Paris pour voir l’homme guider des centaines de squelettes. Comme si notre espèce était l’apothéose de l’évolution !
Il est vrai que, dans la pensée occidentale, l’homme est la plupart du temps placé au centre…
Le problème, c’est que cette vision anthropocentrée irrigue une vaste partie des politiques de protection de la biodiversité. Depuis Rousseau et sa distinction entre nature et culture, nous pensons la nature comme extérieure à nous alors que nous en faisons nous-même partie. Et pourtant, nous ne la connaissons pas. Savez-vous que les pieuvres ont trois cœurs et neuf cerveaux, que les dauphins utilisent des éponges comme outils pour fouiller le sable à la recherche de nourriture ? Ou encore que les poissons communiquent grâce à leur vessie natatoire et ont des accents régionaux ?
Eh bien, effectivement, vous m’apprenez des choses !
C’est que le vivant a beau être fascinant, nous méconnaissons tous sa complexité. Ce n’est pas parce que nous ne parlons pas la même langue que d’autres formes de communication ou d’intelligence n’existent pas. Alors pourquoi ne pas élargir nos horizons en considérant les animaux et autres êtres vivants non plus comme des ressources exploitables et utiles mais comme une communauté indispensable à notre survie ? C’est tout l’intérêt du concept de « coviabilité socio-écologique » développé par Olivier Barrière. En bref, il affirme que « l’existence des humains sur la planète Terre n’est rendue possible que par une coexistence avec le non-humain. »
Comme le dit si bien Antoine de Saint-Exupéry : « Toutes les grandes personnes d’abord été des enfants. Mais peu d’entre elles s’en souviennent. » Alors cette semaine je vous invite à redevenir des enfants et à vous émerveiller à nouveau devant les pépiements d’oiseaux ou tout autre animal que vous croiserez.
Merci Fanny. Je rappelle que vous êtes étudiante en master Affaires Européennes à Sciences Po Bordeaux.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.