Retrouvez chaque semaine Zoé Neboit avec sa chronique Surréalisantes sur euradio pour découvrir le portrait d'une artiste méconnue.
Aujourd’hui vous allez nous parler d’une femme à la vie aussi extraordinaire qu’oubliée.
Oui, aujourd’hui je consacre ma chronique à Mary Low : un personnage qui a l’air tout droit sorti d’un roman d’aventure, mais qui a pourtant traversé toute les révolutions du XXe siècle. Mary Low naît le 14 mai 1912 à Londres. Son enfance a été marquée par des voyages en Europe mais aussi en Australie, pays d’origine de ses parents : un ingénieur des mines et une fille de ministre. Comme toute jeune fille de bonne famille dans les années 20, elle apprend le Français, et au travers des langues et des cultures qu’elle traverse, elle se passionne pour la littérature. Byron, Keats, Victor Hugo, Balzac et Apollinaire peuplent ses lectures avides et les premières pages qu’elle griffonne en cachette.
Mais Mary Low a d’autres projets que de se marier avec un Lord et de mener une vie rangée dans les sphères de la bourgeoisie anglaise ?
Ah ça oui ! Dès qu’elle le peut, c’est-à-dire quand elle atteint sa majorité à 21 ans, elle s’enfuit de chez elle pour aller vivre à Paris. Avec peu de moyens, Mary se débrouille, elle vend des livres, fait de la couture. De ses nombreux voyages, elle a pris l’habitude de se mêler à d’autres cultures que la sienne. Alors au milieu de la capitale parisienne, elle fréquente les communautés hispaniques et cubaines, leurs cafés, leurs soirées où l’on joue de la guitare et où l’on refait le monde. Un soir d’octobre 1933, elle rencontre à la brasserie La Coupole, le poète cubain Juan Breá. Vous savez, dans mes chroniques, il y a souvent une histoire d’amour qui vient tout changer. Mais ici, c’est un tremblement de terre.
Alors qui est ce Juan Breá ?
C’est un poète cubain au cœur de l’avant-garde cubaine des années 20, mais aussi un ardent militant trotskystes, l’un des premiers à Cuba. Ensemble, Mary et Juan sont faits du même feu créatif et révolutionnaire. À Paris, ils se mettent à fréquenter les surréalistes. Mais ces oiseaux-là ne sont pas fait pour la sédentarité. Pendant 6 ans, jusqu’à l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale, ils sillonnent l’Europe sur les chemins de l’insurrection et de la poésie surréaliste : à Bruxelles, Vienne, Belgrade, Bucarest, Athènes et Prague. En 1936, ils sont en Espagne au début de la guerre civile. Ils s’engagent dans le POUM, le Parti ouvrir d’unification marxiste, vent debout contre les francistes, mais aussi très critiques des dérives de Staline en URSS. Rapidement les membres du POUM sont accusés d’être des traîtres par Moscou, un à un faits prisonniers ou froidement assassinés.
Comment Mary Low et Juan Breá s’en sortent-ils ?
Ils réussissent à se réfugier à Londres, où ils écrivent à quatre mains Red Spanish Notebook pour témoigner de ce qu’ils ont vécu. Le récit fait du bruit à sa sortie et est même salué par George Orwell, plusieurs années avant La ferme des animaux et 1984 qui écrit : « Avec une série de tableaux du quotidien, on voit comment peuvent être les humains quand ils essayent de se comporter comme des humains et pas comme des rouages dans la machine capitaliste. » Pendant la guerre, Mary s’exile à Cuba avec Juan, avant que celui-ci ne meure subitement du tétanos en 1941.
Mais l’histoire de Mary Low ne s’arrête pas là.
Évidemment. Elle se plonge corps et âme dans l’écriture et la poésie, publie plusieurs recueils. À La Havane, elle participe au renversement du dictateur Batista. Mais elle doit encore s’exiler en 1964, alors qu’elle est, à nouveau, accusée d’être une trotskyste réfractaire. Elle s’installe alors aux États-Unis. Elle y enseigne jusqu’à sa retraite l’histoire et le latin. Là-bas, elle continue d’écrire dans Guángara libertaria, revue des anarchistes cubains en exil. Gardant son esprit révolutionnaire jusqu’à sa mort à 95 ans, elle signe en 1999 la pétition « Combat for history » qui dénonce les manipulations des historiens stalinistes voulant réécrire leur rôle durant la guerre d’Espagne en 1936.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.