L'information pour le monde suivant

Comment distinguer l'information nationale de l'information parisienne ?

Comment distinguer l'information nationale de l'information parisienne ?

Stressé par l’actu ? Perdu dans la jungle des médias ? Accro aux flux d’info inutiles ? Le groupe de réflexion IMS, Information pour le monde suivant, se penche sur les enjeux actuels et futurs de l’information sur euradio.

Dans ce quatrième épisode, Patrick Busquet, Président d’IMS, s’interroge sur la distinction entre information nationale et information parisienne. Certains organes de presse et médias sont qualifiés de nationaux, tandis que d’autres le sont de locaux : les premiers apparaissent systématiquement dans les revues de presse, servent souvent de référence dans les débats. Réfléchissent-ils pour autant la vie de la nation ?

La notion de proximité s’est installée dans nos vies. Qu’il s’agisse de production et de consommation alimentaire, de déplacements, de services… mais aussi d’information. Selon ce distinguo, la presse et les médias régionaux ou locaux répondraient aux attentes de proximité. La presse nationale à celles d’intérêt national ou international.

Ce partage de rôles et de supposée position hiérarchique est-il correct ?

Conventionnellement, l’information nationale est celle qui concerne l’ensemble du pays. Il s’agit donc de faits, d’événements, de décisions concernant l’ensemble de la population, de métropole et d'outre mer.

Force est de constater, nous dit Patrick Bousquet, que la Guyane, les Antilles, la Polynésie, les territoires de l’océan Indien, de l’Atlantique nord, du pôle Sud existent fort peu dans l’information nationale. Sans parler de l’absence des actualités concernant la vie des Français établis hors de France dans des pays qui ne font pas partie de la nation.

Constatons que l’information nationale est très sélective. Elle est même très exclusive : à l’exception des résultats électoraux de ces zones vite citées, de faits exceptionnels, elle ignore beaucoup de la vie de la nation. Pour ne citer que ces territoires.

L’information nationale est donc à dominante métropolitaine.

Regardons encore de plus près : l’information nationale parle-t-elle vraiment des régions qui constituent la nation ? Les organes de presse et médias dits nationaux répondent que c’est la mission de leurs confrères régionaux, locaux. En précisant qu’ils diffusent cependant des contenus dédiés à ces sujets, plus particulièrement dans des formats magazines. Ceci est exact. Toutefois, les thèmes dominant l’information nationale proviennent avant tout de l’écosystème… parisien.

Quand la presse nationale était plus en gloire qu’aujourd’hui, elle était distribuée sur le territoire français par une messagerie. Cette entreprise était les NMPP, ce qui voulait dire : Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne. Cette dénomination épousait la nature de la presse nationale, avant tout parisienne.

Nous sommes en France, pays hyper centralisé. Dans sa capitale se concentrent tous les pouvoirs, les principaux centres intellectuels, les sièges de nombreuses et grandes entreprises, les centres de décisions, les organes de l’État, les partis politiques, etc.

Et logiquement, les médias et organes de presse nationaux y sont présents.

Leurs rédactions relaient et produisent avant tout les actualités de cet écosystème, poursuit Patrick Busquet. Elles le font d’autant plus aisément que les journalistes, pour beaucoup d’entre eux, sont passés par les mêmes écoles et formations que les acteurs de cet écosystème.

Ces organes médiatiques traitent de sujets de proximité, mais d’une proximité sensiblement différente de ceux de la population. Il s’agit ici de thèmes avant tout politiques (la vie politique est un facteur déterminant de l’existence de cet écosystème) ; de relations internationales (pas toutes, surtout celles relatives à l'État, traitées par le regard de spécialistes liés à ces intérêts, par les écoles, universités ou carrières) ; ou encore de compétitions sportives majeures, de faits divers « excitants », d’attentats, de faits communautaristes menaçant la vie de l’État.

Ça veut dire que l’information nationale, plus que réfléchissant une actualité du pays, est celle qui procède avant tout de la structuration de l’État français.

Comme les acteurs de cet écosystème sont concentrés à Paris, il est aisé pour les médias de les rencontrer, de les solliciter, de les inviter. Ainsi, l’information nationale plus que réfléchissant une actualité du pays, est celle qui procède avant tout de la structuration de l’État français.

S’agirait-il de la restitution d’un certain communautarisme, celui d’acteurs « pilotant » la nation ? s'interroge Patrick Busquet. Pour certains, cette interrogation sentira le complotisme. Pourtant, comment expliquer ces grandes mises en feuilleton médiatiques, durant des semaines, pour la succession d’un premier ministre ? Ou-bien pour le choix d’un joueur de football de rester en France ou d’aller en Espagne ? « La France, c’est Paris » dit-on. Ce n’est pas vrai mais c’est exact.

Entre les territoires de l’information, les frontières sont devenues floues. Notre entrée
dans l’ère numérique a renversé bien des classifications. La presse régionale traite elle aussi de sujets nationaux et internationaux, bien qu’à partir d’un ancrage provincial (rappelons que « province » qualifie un territoire conquis, vaincu).

Pourtant, ce qu’elle fait n’a parfois pas l’impact qu’elle mériterait dans la presse nationale.

Lorsque Ouest-France, 1er quotidien français en tirage et audience devant les quotidiens parisiens, décide de ne publier aucun sondage sur les intentions de votes durant la campagne présidentielle française de 2022, la décision est relayée mais aussi rapidement oubliée. Or, voilà une décision éditoriale à forte vertu citoyenne et d’envergure nationale…

On pourrait relever une quantité de cas plaidant en faveur d’une nécessité, voire d’une urgence, à apporter des nuances dans la perception du paysage de l’information, dit encore Patrick Busquet. Ces nuances interpellent les citoyens comme les professionnels ou les entreprises médiatiques.

Les premiers pour prendre en compte que ce qui était local hier, est devenu global comme l’environnement, la santé… ; les deuxièmes pour se battre contre ces tics arrogants : « Voilà ce qu’il fallait retenir de l’actualité du jour », par exemple, en oubliant de préciser « selon notre rédaction » ; les troisièmes pour s’efforcer de recruter des journalistes, documentaristes, graphistes, etc. venus de filières de formations plus variées : plus de techniciens, plus de scientifiques, plus d’ingénieurs, plus de plus de personnes de classes sociales différentes.

Entretien réalisé par Laurence Aubron et Cécile Dauguet.

https://usbeketrica.com/fr/article/l-information-pour-le-monde-suivant-information-nationale-ou-information-parisienne