Stressé par l’actu ? Perdu dans la jungle des médias ? Accro aux flux d’info inutiles ? Le groupe de réflexion IMS, Information pour le monde suivant, se penche sur les enjeux actuels et futurs de l’information sur euradio.
Dans ce septième épisode, Didier Pourquery, vice-président d’IMS, nous rappelle que les médias ne sont pas uniquement des vecteurs d’actualité, ou des supports de publicité : ils sont aussi, depuis toujours, des ressources à consulter pour se faciliter le quotidien. Mais comment peuvent-ils passer d’une source d’info-service et d’actualité à une production utile socialement ?
Pendant longtemps la lecture du journal, « sorte de prière du matin réaliste » selon Hegel, servait également – et plus prosaïquement- à s’informer sur les pharmacies de garde, les horaires des messes, la météo locale ou les programmes de cinéma.
Cette partie, jugée comme peu noble dans la plupart des rédactions, était pourtant essentielle pour asseoir la familiarité avec le public, la fidélité et la reprise en main du dit journal à un autre moment de la journée. Cette info-service était d’ailleurs évaluée sans indulgence par les lecteurs : pas question qu’un horaire fût faux ou une adresse incomplète. Issues d’un travail de fourmi, les rubriques de fin de journal incluaient aussi les annonces des particuliers, mélangeant information factuelle (untel est décédé) et information service (l’heure de ses obsèques).
Supprimer telle ou telle rubrique de cette partie-là du journal était grave, nous dit Didier Pourquery : on se souvient de la levée de boucliers des lecteurs du Monde lorsque le journal du soir cessa de publier son « supplément radio-télé ». La baisse des ventes en kiosque qui s'ensuivit le week-end interrogea le quotidien sur l’importance de l’info-service dans l’équilibre des contenus qu’il proposait le samedi après-midi. Pour rester dans les pages du même quotidien, celui-ci publia longtemps un dossier annuel pour aider ses lecteurs contribuables à remplir leur déclaration de revenus.
On est là dans l’info pratique. Il s’agit de fournir au public une sorte de mode d’emploi au service de sa vie quotidienne.
Notons que cette partie-là du journal est la plus propice aux glissements vers la communication publicitaire, précise Didier Pourquery : les dossiers spéciaux « finances personnelles », immobilier, destinations de vacances, achats de fin d’année ou automobiles sont réalisés par des journalistes mais servent à attirer la publicité dans leurs colonnes (dans le jargon, ces dossiers sont appelés « pièges à pub »). Parfois même, la frontière est fine entre ce qui constitue du « contenu rédactionnel » et ce qui relève du « publi-rédactionnel ».
Si l’on voit bien ce que peuvent recouvrir les expressions information-service et information pratique, qu’en est-il plus largement du concept d’utilité appliqué à ce domaine ?
Pour répondre à cette question, il faut distinguer deux types d’utilité : l’utilité individuelle et l’utilité publique.
Pour Didier Pourquery, une enquête peut se révéler d’utilité publique si elle dévoile des mécanismes déviants et si ce dévoilement conduit à un changement des règles de la vie en société
Dans le premier cas, on pourra dire par exemple d’un article qu’il nous a été utile parce qu’il nous a permis de comprendre une situation, un événement, une tendance ou un phénomène.
Dans le second cas, une enquête peut se révéler d’utilité publique si elle dévoile des mécanismes déviants et si ce dévoilement conduit à un changement des règles de la vie en société. Une enquête sur les pratiques frauduleuses ou malsaines d’un secteur économique peut conduire par exemple au durcissement d’une législation ou un changement des pratiques de contrôles.
Ainsi, un média associatif comme dIsclose.ong produit-il des enquêtes d’investigation qui révèlent des situations anormales, ou délictueuses, des pratiques condamnables qui peuvent conduire à des changements de réglementation. Ces enquêtes ont donc un impact sociétal observable, leur utilité collective est mesurable.
De même, le livre-enquête sur le secteur des EHPAD en France a entraîné des changements de gouvernance et de pratiques dans les groupes mis en cause et un durcissement de leur encadrement et de leur contrôle.
Notons que l’enquête de dénonciation est une pratique ancienne : quand en 1923, Albert Londres, dans Au Bagne , décrit les conditions de vie épouvantables des bagnards en Guyane, il lance un mouvement qui va conduire en 1925 à un début d’humanisation du système… et en 1938 à sa fermeture définitive.
À l’autre bout du spectre informationnel, Didier Pourquery propose d’observer le travail des revues de défenses des consommateurs.
Moins spectaculaire certes, mais tout aussi efficace socialement, cette production d’enquêtes, d’analyses et d’études comparatives est un cas d’école d’utilité sociale de l’information depuis des décennies. L’association « UFC-Que Choisir ? » fondée au début des années 1950, et le magazine « 60 millions de consommateurs », lancé en 1970, produisent des enquêtes analytiques qui peuvent changer les comportements des consommateurs, vers des produits ou services plus sobres ou plus sains. L’information pratique y côtoie l’information d’utilité collective.
Entre ces deux pôles (enquête d’investigation sociétale – enquête d’économie quotidienne) le point commun est la dénonciation d’une situation qui met en mouvement un changement. Si l’un est prestigieux et valorisé, l’autre l’est moins. Pourtant les deux démarches ont des impacts sociétaux évidents… Pour en juger, il suffit de changer notre regard sur la production d’information et accepter qu’elle ne se limite pas à la narration de l’actualité.
Et si l’on redonnait à l’utilité ses lettres de noblesse dans la gamme des critères d’appréciation du journalisme ?
Entretien réalisé par Laurence Aubron et Cécile Dauguet.