Cette semaine, toutes et tous à Lille, prenons l’Eurostar, on va se rafraîchir aux bords de la Tamise ! Direction Londres, où l’on retrouve l’artiste voix et multi instrumentiste LAVA LA RUE, à la musique située quelque part entre la soul, le r’n’b, la folk pop et le hip hop, selon ses envies et les périodes. Mais avant cela, une précision : LAVA LA RUE s'identifie comme personne non-binaire. Tout au long de cette chronique, nous utiliserons les pronoms adaptés.
Dans ce premier chapitre, on fait famille ! Avec celle que LAVA s’est choisie, celle qu’iel ressent dans cette armée de simples gens ; car c’est entouré.e que LAVA a commencé la musique ! Avec son collectif londonien de je cite “musique DIY et arts collectifs” nommé Nine8, un collectif pensant le renouveau du hip hop d’Outre manche.
Chapitre 1 : LAVALLEE DES 1-9-9-8
Pour comprendre Nine8, il faut remonter le temps : direction 2014, LAVA a alors seize ans et est au lycée. Un prof absent, une pause clope qu’iel partage avec des camarades de classe, Jess Smyth et Lloyd Macdonald, une conversation sur la musique et finalement un match artistique : voilà le décor des prémisses du collectif Nine8 -Nine8 selon leur année de naissance, 1998.
Les trois acolytes s’improvisent un studio de fortune dans la chambre de Lloyd (de son futur nom de scène Mac Wetha) qu’ils surnomment “complementary Tea Studios” en hommage à la mère de Llyod, une préparatrice inlassable de tasses de thé qui hydrate à coup de Earl Grey la petite troupe à chaque session.
Avec Jess (de son futur nom de scène Biig Piig, chanteuse à la notoriété florissante), les trois ami.es créent un hip hop lo-fi que l’on reconnaît dans la musique solo de LAVA.
Le collectif s'agrandit au fil des concerts, au fil des rencontres, des connexions sincères et toujours unique ! Le collectif change de studio lorsque Nayana Iz, Bone Slim et LorenzoRSV s’ajoutent à la bande. La maman de Llyod n’avait plus assez de thé !
Nine8 fonctionne comme un collectif horizontal, où les sorties sont votées à la majorité, où les recettes sont partagées équitablement, même avec les absent.es lors de l’enregistrement puisque finalement, elles ou ils ont participé d’une façon ou d’une autre à la création. Musique, mais aussi vêtements, œuvres d’arts, les copaines créent ensemble à partir de leurs singularités. Pour LAVA, ce collectif est une maison-cadeau, je cite “c’est magnifique car on crée ensemble quelque chose que l’on aurait jamais été capable de faire seul.e”.
Nine8, une maison donc, que tout le monde a à coeur de protéger : Biig Piig a ajouté dans son contrat avec Sony une clause qui lui assure carte blanche pour ses collaborations avec la bande !
Chapitre 2 : Et Ava Laurel joua au scrabble
LAVA LA RUE naît en 1998 dans l’Ouest de la capitale, de son vrai nom Ava Laurel. Je vous propose d’écouter son premier EP : LAVALAND PART 1, sorti en 2017. Pss, Si vous ne l'aviez pas remarqué, LAVA LA RUE, c'est un anagramme de son propre prénom !
En 2017, l’univers de LAVA-19 ans c’est ambiance lo-fi, collage sonore, r’n’b expérimentale et soul qu’iel arbore d’une voix en apesanteur. Ses influences sont multiples et de toutes horizons !
D’abord de ses parents, des habitués des raves londoniennes des années 1990 (une mère anglo-jamaïcaine qui ponce le dancefloor de la jungle et un père lettonien DJ).
Puis de sa grand-mère - sa tutrice principale-, peut-être la plus grande fan au monde de Marvin Gaye révèle LAVA au magazine Hunger, qui berce LAVA dès bébé à la radio pirate et au gospel de l’église du dimanche.
Et enfin, de ses propres rencontres : au collège, LAVA croise le hip hop alternatif de Gorillaz, le crush est absolu. Ce sera le premier album que LAVA s'achètera seul.e ! Puis, le punk-rock de The Clash, la soul de Sade ou encore la pop-électro de Tame Impala, sont autant de voix qu’iel branche par la suite dans ses écouteurs, et dont les énergies se retrouvent aujourd’hui dans son hip-hop langoureux et militant. Et évidemment, également la musique des membres de son propre collectif, Nine8, dont nous avons parlé hier.
Le titre Dyke city, qu'on peut traduire par la ville des gouines, un terme insultant récupéré politiquement à usage interne par la communauté lesbienne ; c'est ce que l'on appelle en sociologie la stratégie du retournement du stigmate !
LAVA, artiste non-binaire, lesbienne et racisée, revendique dans sa musique son identité et ses combats : iel cherche à rendre la musique aux personnes queers mais aussi aux personnes noires, les deux groupes et celui à l'intersection tous dépossedés de leurs genres musicaux, de leurs scènes et de leurs anthems. Certaines icônes dites gay sont en effet hétéro, comme Gloria Gaynor et son tube “I will survive” !
LAVA écrit ce premier EP à 16/17 ans, qu’iel pense alors comme un projet narratif mêlant de l’autobiographie avec de la fiction, et de l’audio avec du visuel (il est accompagné de 20 pages de collages). Instrumentiste, poète, artiste visuel : LAVA est touche-à-tout, et fait tout de A à Z.
Sur le titre Crossroad, LAVA fait des collages sonores entre le hip hop et le r'n'b sur lesquelles iel répète "My name is LAVA LA RUE" !
Chapitre 3 : LAVABCD
Son deuxième EP Letra sort en 2018. Letra, c’est un cinq titres aux influences hip-hop et r’n’b des années 1990 ; alors enfilez vos joggings rétro, vos bobs, montez les chaussettes, on s’habille baggy et oversized, en peau de pêche ou en nylon, retour dans la décennie des spice girls !
C’était le titre Fucked it up, sur lequel vous avez entendu LAVA se demander “je ne sais pas comment j’ai merdé, mais j’ai vraiment bien merdé”.
Un morceau qui nous fait tous écho à un moment ou un autre de gêne et de regret, et qui représente les sonorités soul de l’EP que LAVA mêle avec de l’hip hop lo-fi. Une recette maison !
Cet EP sort alors que LAVA commence à attirer l’attention de la scène musicale londonienne. L’artiste le travaille entre l’ouest de Londres et Tokyo, où iel a passé quelques semaines de vacances. LAVA rencontre là-bas le producteur japonais Disk Nagataki, avec qui iel collabore sur Letra. Une nouveauté pour cellui qui a l’habitude de travailler seul.e ou avec ses ami.es du collectif Nine8 ; faute de moyen oblige, l’adepte du système D est devenu.e autodidacte de la débrouillardise et à l’habitude de travailler en famille, dans les studios improvisés de Nine8.
Le titre Widdit est un de mes préférés. Du flow au clip en passant par la prod, il semble sortir tout droit des années 1990. LAVA le produit avec son groupe d’ami.es slash collectif. Sur ce titre, LAVA prévient “Si tu veux bébé, Viens et vibre, bouge ton corps, Cette hi-life est notre quotidien, Ils ne m'apprivoiseront jamais.”. Vous avez compris, puisqu’ici rien n’est négociable, vous n’aurez pas sa liberté de penser !
Sur le titre Touch (My Mind) LAVA partage le micro avec l’artiste-ami LorenzoRSV, un des membres du collectif Nine8 : ce collectif est partout !
Ces collaborations entre personnes racisées sont très importantes pour LAVA : elles permettent je cite “de limiter le white washing des scènes alternatives”, c’est-à-dire pour les personnes noires de se réapproprier les lieux et les genres musicaux desquels elles ont été évincées, notamment à cause de l’héritage colonial.
Chapitre 4 : à la chasse aux papillons
En 2021, LAVA sort son quatrième EP Butterfly, “papillons” en français.
Le titre Magpie représente les sonorités de l’EP, entre dreamy r’n’b et hip hop aux vagues psychédéliques.
Butterfly c’est un EP-amoureux qui met en musique les papillons dans le ventre. EP-amoureux et militant : LAVA donne une place aux amours queers qu’ils devraient avoir dans la musique, qu’iel politise comme résistance au pouvoir et émancipation. Butterfly, c’est alors une rencontre en pensée intergénérationnelle entre les revendications hippies de la fin des années 1960 et les théories afro queers du 21ème siècle. Une rencontre possible selon LAVA grâce au confinement : ce temps d’isolement serait alors propice à l’exploration des normes amoureuses.
Sur cet EP, LAVA collabore avec plusieurs artistes : la chanteuse pop Deb Never, la chanteuse folk Clairo, ou encore le producteur et DJ de musique électro Karma Kid. Avec ce dernier, iel fait titre Lift you up, “élève toi” : un mantra psychédélique entre le jazz et le hip hop sur l’acceptation et le respect de soi. On se prend par la main et on se célèbre le temps d’un extrait, good job everyone !
Le titre GOYD est un titre de l’EP que LAVA a pensé comme un étendard queer, pronant la réappropriation des anthems queers par et pour les personnes queers, alors qu’ils sont parfois produit par des personnes à l’extérieur de la communauté. Sorti en single en 2020, iel y parle de la fille de ses rêves, et des relations à distance -un running gag dans la culture queer.
Chapitre 5 : Et Lava-nture continue !
Je vous propose que nous clôturions le voyage par une visite autour de la dernière sortie de LAVA LA RUE, le 5-titres Hi-fidelity, paru l’année dernière !
Ce projet pour LAVA je cite “sert de passerelle entre la version de Lava qui a débuté et le personne que je suis en train de devenir”.
Un projet passerelle donc, et ça s’entend ! Déjà, dans les styles. Le titre que vous venez d’écouter, Don’t come back, tire plus vers le psychédélique rock et l’indie, des sonorités qui ne sont pas sans nous faire penser à Gorillaz, son groupe coup de cœur du collège. Dans cet EP, LAVA fusionne jazz funk, disco groovant et guitare rock !
Mais le virage s’opère aussi dans la production. Fini le DIY lo-fi ! Fort.e de sa visibilité nouvelle et des ressources auxquelles iel accède, LAVA peut se permettre de faire appel à des groupes, des musiciens, et de penser, d’enregistrer et de sublimer l’entièreté du projet en studio.
A propos de ces nouvelles possibilités, LAVA reste mesuré.e, je cite “c’est comme lorsque tu as ta première voiture : tu pourrais te sentir un peu naze parce que c’est une poubelle d’occasion qui tombe en panne tout le temps. Mais non, tu es juste hyper excité de pouvoir conduire. Faire de la musique m’a toujours procuré beaucoup de joie. Mais je dirais que c’est chouette d’avoir plus de ressources aujourd’hui”.
Alors on prend au choix la Peugeot 205 ou l’audi RS3 avec notre crush et on branche le titre cry baby, c’est l’heure d’être amoureux.se !
Dans les pistes, LAVA laisse plus de place aux sections chantées, qui sont travaillées, maîtrisées et aux sections instrumentales, qui jouent un style de rock indé vaporeux. Sa voix psychédélique prend toute sa grandeur !
L’artiste européen.ne de la semaine dans cette semaine dédiée à LAVA La Rue, c’est fini pour aujourd’hui et pour cette semaine !
J’ai apprécié retracer avec vous l’évolution de cet.te artiste que je bichonne particulièrement dans mes propres playlist ; été comme hiver, toute saison est propice pour un voyage à LavaLand.
Ses projets futurs restent inconnus, enfin tous sauf un : au média HUNGER, LAVA confie que son prochain objectif est que quelqu’un lui fasse une page wikipédia disant qu’iel a inventé le r’n’b psychédélique.
Alors à vos claviers !
Une émission proposée par Hannah Tesson.