Cette semaine, une artiste, mais aussi un artiste !
Direction… La Lituanie, le pays aux presque trois millions d’habitant.es au nord de la Pologne et à l’Est de la Béliorussie. Là-bas, nous ouvrons grand les oreilles à la recherche du duo de indie folk slash no wave rock slash country indie nommé Kamanių šilelis.
Chapitre 1 : En trans we are
C’était le single Lygumos, sorti en 2011 !
C’est en 2007, 4 ans plus tôt que Kamilé et Mantas, âgé.es alors de 17 ans, se rencontrent dans la forêt d’Ezeraitis, au bord du lac Spengla, lors du festival de psy-trans Yaga. Yaga, c’est un festival indépendant et alternatif mêlant yoga, ateliers d’artisanats et musique électro !
Vous l’avez compris, l’ambiance est aux rêves, aux contestations venues des années 60/70, aux expérimentations : ce que le philosophe Michel Foucault nommait en 1967 des hétérotopies, des espaces concrets d’utopies.
Des influences qui se ressentent dans leurs débuts musicaux, construits autour de l’amour et la créativité. Le coup de foudre est en effet artistique, mais aussi amoureux : les deux tombent en amour en découvrant la musique de l’autre.
Les deux musicien.nes ont eu une porte d’entrée dans la musique quelque peu éloignée : Mantas s’est d’abord entiché de rock et d’électro lorsque Kamilé a grandi bercée par la musique lituanienne traditionnelle !
Leur nom de scène Kamanių šilelisest d’ailleurs choisi en référence au lieu de leur rencontre : à partir de la fusion des premières syllabes de leurs prénoms, Kamanių šilelis signifie “la forêt de bourdons”.
Le couple se sépare quelques mois plus tard, mais comme ils le diront quelques années après, je cite “ce n’était encore que le début de tout”.
En 2011, le duo se reforme en parallèle de leurs études de théâtre et sort quelques titres faits maison sur Youtube.
Vous avez peut-être reconnu le ukulélé en arrière-plan ? Kamilé et Mantas s’inspirent de la folk mondiale et jouent autant de la guitare, que du didgeridoo, des synthétiseur, ou du Dambrel lituanien, une langue métallique vibrante.
Sur scène, ils introduisent également des objets du quotidiens et des sons de la nature : on retrouvait des scies, des clés à plomberies, des bruits d’eau.
Des éléments qui les font caractériser leur musique de je cite “primitive”.
Le Club Pogo, lui, lieu où ils font leurs premiers concerts, la décrit plutôt comme de la psycho-folk !
Si aujourd’hui les deux artistes ont pris du recul, pour les deux étudiant.es de l’époque, la musique est alors comme du sacré, et l’art comme une église : tout est pensé. Le titre Gilyn est d’ailleurs enregistré dans l’Eglise du Serpent de Cappadoce en Turquie.
Chapitre 2 : Tout s'écoule et tout est cool
Hier nous avons évoqué leurs débuts, aujourd’hui nous écoutons leur premier album, Viskas Teka, “Tout s’écoule”, sorti en 2014.
Sur le titre Kosmonautai, on retrouve la folk, le synthé de Mantas et les influences traditionnelles du duo !
Ces dernières ne jouent pas que sur les instruments du duo, comme l’usage Dambrel lituanien, une langue métallique vibrante, mais aussi sur les voix ! La façon dont les mots sont prononcés dans ces chants a quelque chose de très unique, entre une ritournelle sans fin et des accents particuliers : Kamilé reprend cette technique au micro dans tous leurs morceaux. Une prononciation qui n’est pas sans nous faire penser à des rituels, des incantations. D’après elle, c’est alors aussi l’écriture qui est différente, plus proche de la poésie.
Kamilé voit d’ailleurs dans la folk lituanienne une ressemblance avec le ragga indien en termes de rythme, fonctionnant en cercle. ; le titre Mano Broli par exemple nous donne l’impression d’une immersion dans une cérémonie chamanique. C’est le temps de faire le point avec l’univers !
Chanson chamanique, mais aussi rock comme le titre Nieko Neivyko, sur lequel je vous propose que l’on se quitte aujourd’hui.
Surement un des morceaux pour lequel les critiques de Lituanie diront entendre des influences du groupe radiohead !
Car avec cette sortie, le groupe commence à prendre de l’ampleur, à se faire remarquer et à trouver son carrefour musical ; moins naïfs que les premières sorties, plus no wave rock, entre l’aujourd’hui et l’hier.
Chapitre 3 : La lothlorien lituanienne
Hier nous avons écouté leur premier album sorti en 2014, aujourd’hui je vous propose que nous nous rendons en 2018, année où sort leur deuxième album, Namai, signifiant maison. La leur sur la pochette : une forêt !
Forêt donc, mais pas n’importe laquelle, les influences traditionnelles de l’album lui donnent des allures de forêt enchantée : bienvenue dans le royaume elfique du seigneur des anneaux, à l’est des montagnes de Brume !
C’était le titre Namai ! Alors, avez-vous retrouvé l’ambiance fantastique d’une forêt mystique ? Le duo dit s’inspirer de la mythologie et des contes traditionnels pour ses compositions. Sur leur page facebook, ils décrivent d’ailleurs leur musique comme un mélange entre je cite : “une musique folk du monde et une esthétique médiévale avec l’esprit des années 70 en y ajoutant des touches électroniques de notre époque”.
Dans son deuxième album, le duo cherche à parler je cite “du fait que c’est bizarre de grandir et que nous ne grandirons jamais”.
Ceci dit, comme chantaient les Neg Marrons en 2000 le temps passe passe passe et beaucoup de choses ont changé : fini les études pour nos deux artistes ! Kamilé devient metteuse en scène, puis sera une des directrices artistiques du théâtre national lituanien. Mantas, quant à lui, devient comédien et acteur.
Cela ne les empêche pas à côté de continuer à créer une poésie-musique… Ou de nous inviter sur la piste de danse de la taverne avec le titre Sudijo !
Le titre Lakstingalele lui, est un titre dédié à la grand-mère de Kamilé ; celle qui l’a introduite enfant aux chants folkloriques Lituaniens.
Chapitre 4 : Les 9 doigts de la main
Alors hier nous avons écouté leur deuxième album Namai, aujourd’hui je vous propose que nous écoutons l’album 9, sorti en 2021.
C’était le titre “Dulkès”, surement un de mes préférés de l’album pour son ambiance dark rock. Au média Europavox, Mantas confie d’ailleurs que jouer du punk rock est un de ses rêves secrets inavoués ! Un titre qui donne envie de faire la révolution : le clip est d’ailleurs une succession d’archives de rébellion face à l’oppression. Le titre Dulkès, signifie poussière : le duo cherche à apercevoir les mondes qui se construisent derrière les oppressions étatiques et le chaos des rébellions… Ce qui naît après la poussière des affrontements.
Une version sombre cinquante ans plus tard du titre de John Lennon “Power To The People” !
L’album 9 témoigne des changements dans la musique du duo : si avant elle était de l’ordre du sacrée, aujourd’hui, elle prend une place plus sobre, plus simple. L’essentiel alors pour Kamilé et Mantas : le présent, la seule chose à leurs yeux qui existe réellement. Ils le disent au média culture lituanien 370 : “Nous avons toujours voulu être qui nous sommes [...] soit nous ressentons ce que nous faisons, soit nous le faisons pas”. Une musique qui grandit donc avec eux !
Sujet du présent, reflet d’expression d’humeurs ou d’états à un moment donné, leur musique se précise alors dans son caractère éclectique : influences folkloriques toujours, mais aussi rock psychédélique ou minimalisme électronique.
Je vous propose que l’on se quitte avec le titre Zalio Zuvys de l’album 9, dans lequel on retrouve les sonorités folks qui font la signature du duo.
Chapitre 5 : un coup d'amour un coup de soleil
Cette semaine, nous étions en balade en Lituanie aux côtés du duo Kamanių šilelis! Nous avons été dans la forêt d’Ezeraitis, au festival de trans Yaga où Kamilé Gudmonaité et Mantas Zemleckas se sont rencontrés. Puis aux bords des lacs du pays, avec leur premier album “Tout s’écoule” sorti en 2014. Dans les forêts de nouveau, avec leur album Namai, “Maison” et enfin dans les scènes rock avec leur album 9 sorti en 2021.
Aujourd’hui, je vous propose que l’on termine cette série et ce voyage avec un passage au solarium, où nous écoutons leur dernière sortie en date, l’album Zlureti i saule, en français : “regarder le soleil” sorti en mai !
Le quatrième titre de l’album, As Bijau, est une chanson tirant sur la pop dans laquelle le duo parle de la peur de s’ouvrir à quelqu’un, la peur de la vulnérabilité amoureuse.
Dans une interview au média Europavox, Kamilé et Mantas confient avoir écrit les premières chansons de l’album comme des balades, sur des sujets plus profonds et des mélodies plus douces.
Le but ? Ouvrir d’abord les cœurs et les émotions… Avant de tout sortir par le corps sur le reste des titres, eux beaucoup plus pêchus et beaucoup plus électroniques ! Préparez-vous au switch, on s’échauffe les mollets et on se colle aux enceintes : c’est le track Oaxaca.
Pour la première fois, les lituanien.nes intègrent d’autres langues que la leur : de l’espagnol, mais aussi… du français ! Sur le dernier titre de l’album, qui porte d’ailleurs le même nom, Zlureti i saule, “regarder le soleil” Kamilé reprend des vers du poème “Recueillement” de Baudelaire, issu des fleurs du mal, le recueil publié en 1857 et aussitôt condamné pour “outrage à la morale publique et la morale religieuse”. Ce recueil a en fait accompagné le duo pendant toute la création de l’album, fasciné par le sensible des mots et des images.
Sur leur table de nuit à cette époque, Beaudelaire donc, mais également un autre livre cette fois, venant de la psychologie : l’ouvrage “Staring at the sun” écrit par le psychiatre étatsunien Irvin Yalom. Le titre de l’album vient d’ailleurs de là ! Dans cet essai sorti en 2008, le professeur de Stanford défend l’idée selon laquelle, regarder le soleil, c’est un peu comme contempler sa propre mort.
Je vous propose d’écouter le titre Zlureti i saule, dans lequel on entend Kamilé scander :
"Pendant que des mortels la multitude vile, Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci, Va cueillir des remords dans la fête servile, Ma douleur, donne-moi la main ; viens par ici" Baudelaire, Recueillement, 1857
L’Artiste européen.ne de la semaine dans cette semaine dédiée à Kamanių šilelisc’est terminé pour aujourd’hui et pour cette semaine !
J’ai beaucoup aimé cette balade avec vous en Lituanie, qui sait, une prochaine destination de voyage ?
Ce que l’on peut retenir de ce duo, c’est avant tout une histoire d’amour en dehors des carcans habituels. Entre eux, avec leur public qui les a vu grandir, mais aussi, envers eux-mêmes : Kamilé confiait au média 370 : “je n’ai plus peur d’être une personne “avec un défaut”, d’être et de paraître aussi imparfaite que je le suis réellement. J’aime ça aussi.”
Je vous laisse y réfléchir ce week-end ; cultivons ensemble nos perfections imparfaites !
On se retrouve dès la semaine prochaine pour découvrir une ou un nouvel artiste et d’ici là, bon week-end sur Euradio.
Une émission proposée par Hannah Tesson.