L'éco, du concept au concret

Fragmentation du commerce mondial : Où est l’OMC ?

© WTO Geneva Ministerial Conference of 1998 Fragmentation du commerce mondial : Où est l’OMC ?
© WTO Geneva Ministerial Conference of 1998

La chronique "L'éco, du concept au concret" part d'une idée simple : éclairer l'actualité économique et la rendre plus accessible avec Arnaud WITTMER, une fois par mois.

Aujourd’hui, je suis avec Arnaud, doctorant en sciences économiques à Strasbourg. La semaine dernière, le secteur automobile européen a tiré la sonnette d’alarme : la pénurie imminente de semi-conducteurs menace de stopper la production de voitures.

En toile de fond, la Chine qui a pris la décision d’arrêter l’exportation de ces semi-conducteurs.

Et tout est parti de la décision des Pays-Bas de nationaliser l’entreprise Nexperia, c’est bien ça ?

Oui tout à fait !

Il y a presque un mois de cela, le gouvernement néerlandais a pris le contrôle de Nexperia, entreprise néerlandaise, filiale du groupe chinois Wingtech Technology.

Dans le contexte actuel, marqué par les tensions croissantes entre la Chine et l’Union européenne, les juges néerlandais ont estimé risqué de laisser un acteur étranger garder le contrôle de la chaîne de production. D’autant plus que le gouvernement néerlandais reprochait à l’entreprise une gestion défaillante, marquée par un manque de transparence.

Les Pays-Bas ont donc suspendu le PDG de Nexperia, ainsi que d’autres responsables de l’entreprise, et ce pour une durée indéterminée.

Sauf que la réaction de la Chine ne s’est pas faite attendre ?

Exactement.

Pékin a immédiatement dénoncé une décision politique, et bloqué l’exportation de ces semi-conducteurs vers l’Europe. La première victime de ce bras de fer entre les néerlandais et le gouvernement chinois se trouve être le secteur automobile européen, qui dépend de ces semi-conducteurs pour la production.

Nexperia a également déclaré que les usines chinoises lui appartenant avaient cessé de communiquer avec le siège aux Pays-Bas.

Et alors que la situation semblait s’améliorer entre les deux pays, l’entreprise Nexperia a annoncé jeudi dernier qu’elle avait cessé d’exporter des « wafers », nécessaires à la fabrication de semi- conducteurs, vers la Chine, en raison d’un défaut de payement.

Donc, pour le moment, les Pays-Bas maintiennent leur stratégie.

Tout à fait. Et ce n’est pas le premier cas du genre cette année. En avril dernier, le parlement britannique annonçait la re-nationalisation de sa dernière entreprise de sidérurgie, British Steel.

Là encore, c’est la gestion chinoise qui est mise en cause, et symboliquement, ainsi que stratégiquement, le gouvernement britannique refuse la fermeture de son dernier site de production d’acier.

Cela aurait été la première fois depuis la Révolution Industrielle sans production d’acier sur le territoire pour la Grande-Bretagne.

Ces nationalisations sont devenues plus courantes depuis la pandémie de Covid-19, qui ont révélé les problèmes de chaînes d’approvisionnement mondialisées (en tout cas pour les produits les plus critiques).

Et tout ça, sans intervention de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), qui règle normalement ce genre de différents.

Pour redonner un peu de contexte, l’OMC c’est une institution qui vise à faciliter les échanges commerciaux internationaux.

C’est ça. Elle s’occupe aussi de faciliter les négociations d’accords commerciaux entre les pays. Le problème, c’est que jusqu’à septembre dernier où un accord de pêche mondial a été signé sous l’égide de l’OMC, aucun accord de commerce n’avait été signé avec l’aide de l’institution depuis l’ouverture du cycle de négociation de Doha, en 2001. 

Cette logique d’internationaliser le commerce et de l’intensifier est née dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale et culmine avec l’entrée de la Chine dans l’institution en septembre 2001. Aujourd’hui, les pays qui font partie de l’OMC représente plus de 98% du PIB mondial.

Et malgré ça, l’institution n’avance plus.

Oui, d’abord parce-que la plupart des accords multilatéraux (c’est à dire entre plusieurs partis, par opposition entre deux partis, qu’on appelle bilatéraux) qui pouvaient être trouvées ont déjà été trouvés avant le début des années 2000, et ensuite parce-que la succession de crises (crise des subprimes, épidémie de Covid, la guerre en Ukraine, etc…) tendent le commerce mondial et renforcent la volonté des pays de renégocier leurs liens commerciaux en fonction de leurs affinités diplomatiques.

Le nombre d’accords bilatéraux se multiplie, donc, mais cela n’a jamais été la priorité de l’OMC. L’institution tolère ces accords comme « une étape vers le multilatéralisme »

L’économiste Richard Baldwin souligne également une autre raison de blocage ; lorsque les principaux accords commerciaux multilatéraux sont signés avec l’aide de l’ancêtre de l’OMC, le GATT, le Canada, les Etats-Unis, l’Union européenne et le Japon représentaient la majorité du commerce mondial. Aujourd’hui, l’OMC est composé « d’alliances défensives », par exemple entre les pays d’Amérique Latine, afin de s’assurer que les nouveaux traités négociés ne soient pas en leur défaveur.

Vous avez également mentionné une institution de l’OMC qui permet de régler les différents ?

Oui, et cet organe de négociation est aussi à l’arrêt.

Depuis 2019, les États-Unis bloquent la nomination des juges, privant le dispositif de sa capacité à rendre des décisions. En cause, la partialité présupposée des juges (les Etats-Unis sont le pays faisant le plus d’objets de plaintes à l’OMC dans le monde).

Autrement dit, quand un pays fait appel d’une décision, le dossier s’enlise, et reste n’avance plus. 

Des dossiers comme la nationalisation de Nexperia et British Steel auraient peut-être été amenés devant l’OMC, afin d’éviter les représailles chinoises sur la question.

De la même manière, la nouvelle taxe de l’UE sur les véhicules électriques fabriquées en Chine aurait été dénoncé par l’OMC, et l’organe de règlement des différents aurait cherché un règlement« à l’amiable », ou formellement permis à la Chine de répliquer avec des tarifs douaniers « équivalents ».

Mais depuis cinq ans, l’institution est à l’arrêt.

Et donc, une institution qui comme la cour de justice internationale, perd de son influence.

Oui, malgré cet accord de pêche négocié cette année, l’OMC est moins influente aujourd’hui qu’il y a vingt ans, et la tendance s’accélère.

C’est une suite relativement logique à ce qu’on observe ces dernières années, avec les différents conflits et crises politiques et économiques que les pays ont rencontrées, et sans que l’organe de différents ne soit débloqué, l’OMC risque de n’être réduit qu’à un rôle d’observateur…

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.