Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.
Dans le numéro 140 de sa revue, Confrontations Europe a publié un article d’Yves Bertoncini, président du cabinet de conseil YB2i Consulting, portant sur la puissance normative européenne. Atout ou frein pour le marché européen ? Michel Derdevet nous explique son analyse.
Quels débats la production européenne de normes soulève-t-elle aujourd’hui ?
Le débat public européen est très souvent critique des normes produites par l’Union. Les particuliers, mais encore plus les entreprises dénoncent très régulièrement ce poids normatif européen.
Face à l’opposition des acteurs économiques européens, la Commission a publié en février dernier son premier paquet législatif « Omnibus ». La législation « Omnibus », découpée en plusieurs paquets thématiques, vise à simplifier les normes européennes. L’objectif annoncé est donc de modifier certains textes européens, notamment compris dans le Pacte vert, afin de réduire le poids administratif des normes sur les entreprises. Cette législation « Omnibus » s’explique par ailleurs par des raisons circonstancielles. Le Pacte vert, initié en 2019, a en effet donné lieu à la mise en place de nombreuses normes en faveur de l’environnement. Or, du fait de sa mise en œuvre progressive, les normes sont entrées en vigueur ces dernières années, coïncidant notamment avec la dérégulation du marché par les Etats-Unis.
En quoi la production normative et la construction européennes sont-elles imbriquées ?
L’Europe s’est surtout construite autour d’un marché unique, qui nécessite des règles communes à tous les Etats membres. L’Union européenne a pour rôle de produire des actes juridiques en ce sens.
Ils sont d’ailleurs censés être simplificateurs, puisqu’ils ont pour vocation de se substituer à 27 normes nationales. C'est une des forces de l’Union, qui est souvent définie comme une « grande puissance normative ». Ces normes permettent de protéger le tissu économique européen, tant les entreprises que les consommateurs, et placent l’Union comme référence au niveau mondial. Ce qui est souvent défini comme l’« effet Bruxelles » entraîne donc une exportation de ces règlementations européennes à l’échelle internationale, et participe à d’autant plus justifier cette production normative européenne.
Cette production de normes est pourtant souvent critiquée et perçue comme abusive. A quoi c’est dû ?
Chargée d’incarner l’intérêt général européen, la Commission européenne est dotée de l’initiative législative, c’est donc elle qui a le monopole dans la proposition de nouvelles normes. Le Conseil des ministres et le Parlement européen doivent ensuite adopter le texte dans les mêmes termes. Le problème est que près de la moitié des normes européennes sont en fait adoptées par la Commission sous la forme de « mesures d’exécution ». Ce type de mesures a pour objectif de préciser la portée des textes législatifs déjà validés par le Parlement et le Conseil. Ce processus est conduit par des hauts fonctionnaires, ce qui rend ces mesures opaques et moins démocratiques. Yves Bertoncini déplore ce manque de transparence, et appelle à une démocratisation de la production normative. Si celle-ci repose initialement sur des fondements politiques, économiques et sociétaux solides, les processus d’adoption de normes utilisés aujourd’hui participent au rejet exprimé par les Européens.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.