À l'heure de la mondialisation, l'Union européenne est confrontée à des défis de plus en plus nombreux. Chaque mois, dans "géopolitique européenne" sur euradio, Jenny Raflik, historienne à Nantes Université et chercheuse au CRHIA, décrypte l'actualité de l'Union européenne au regard de son histoire et de ses institutions.
Une crise politique comme celle que traverse la France peut-elle avoir un impact sur la politique internationale ?
Il existe des interactions permanentes entre la politique intérieure et extérieure d’un pays. Cela fait partie des « forces profondes » des relations internationales, telles que définies par les historiens Renouvin et Duroselle. Tout pèse en relations internationales, y compris l’état moral, économique, démographique des pays. À fortiori quand il s’agit de pays jouant traditionnellement un rôle géopolitique important.
Ces interactions entre politique interne et politique extérieure peuvent être de différentes natures. Certains chef·fes d’État, par exemple, cherchent à l’international une légitimité qui leur manque en interne. Y compris pour peser sur des élections nationales. C’est le cas du président turc Erdogan. Les élections présidentielles auront lieu en mai. Le président turc est en difficulté à cause de la situation politique interne en Turquie, notamment les difficultés économiques. En se positionnant au centre de l’échiquier géopolitique actuel, il utilise la politique extérieure pour redorer son blason, et améliorer son image dans son propre pays. Je rappelle que la Turquie bloque depuis plusieurs mois l’élargissement de l’OTAN à la Suède et à la Finlande, et pèse, de ce fait, très fort dans le bloc occidental. Si cela peut sembler négatif à l’international, cela contribue, en Turquie, à donner d’Erdogan l’image d’un homme fort, puissant, craint à l’étranger. Image qu’il saura mettre en avant dans sa campagne présidentielle.
Mais à l’inverse, la politique interne peut affaiblir le positionnement international d’un pays.
C’est ce qui se passe actuellement avec la France ?
Indéniablement. Tout d’abord, parce que les événements actuels dégradent fortement l’image de la France dans le monde. Il suffit de regarder la presse internationale pour s’en faire une idée. L’annulation de la visite du roi Charles III a fait l’objet de commentaires acerbes. Celui de la BBC est sans appel : « cette décision est un camouflet important pour la France et pour le président Macron. Ce séjour devait être une vitrine pour la France, et présenter au nouveau monarque le meilleur de la vie française tout en consolidant une amitié nouvelle ».
Camouflet, mais surtout passation symbolique de pouvoir et d’alliance : Non seulement c’est un coup dur porté à l'opération de relance de l'Entente cordiale post-Brexit, que ce voyage devait symboliser. Mais, en outre, le premier voyage à l’étranger du roi d’Angleterre, qui devait avoir lieu en France, se fera en Allemagne. Sur fond de rivalité franco-allemande pour le leadership européen, le symbole pèse lourd. L’annulation de ce voyage a été lue en Europe et dans le monde comme une preuve supplémentaire du déclassement de la France dans le nouvel ordre mondial.
J’y ajouterai une autre remarque : Emmanuel Macron a tenté, comme Erdogan, d’utiliser son action à l’extérieur pour améliorer son image interne. Il a notamment multiplié les voyages à l’étranger les jours de grandes mobilisations. Il était en Espagne le premier jour de mobilisation, le 19 janvier. Il était en Afrique du 1er au 4 mars, alors que la France se préparait à la journée de mobilisation du 7 mars. Il était à Bruxelles la semaine dernière, là encore, au moment d’une journée annoncée de mobilisation. Cela a conduit à étouffer le message que la France pouvait porter à l’international. La presse était focalisée sur la situation interne, et n’a pratiquement pas commenté les décisions prises pendant ces voyages. En outre, en interne, cela a pu contribuer à donner l’impression que le président fuyait la réalité de son propre pays. Voir fuyait tout court. Son discours moralisateur face aux dirigeants africains a été perçu comme une offense à l’Afrique non seulement en raison de son contenu et du ton sur lequel il était prononcé. Mais aussi parce qu’il venait d’un président en situation de faiblesse dans son propre pays.
Mais l’image du Président français est-elle celle de la France ?
Dans la Cinquième République, depuis de Gaulle, le président de la République incarne la politique extérieure du pays. Ses successeurs ont fortifié cette pratique présidentielle. Y compris ses opposants, comme François Mitterrand. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, De Gaulle, Pompidou, Valery Giscard d’Estaing, Mitterrand ou Chirac se plaçaient, dans leur exercice de la fonction présidentielle, au-dessus des partis. La parole présidentielle porte la parole du pays à l’étranger. Et lorsque cette parole présidentielle devient inaudible à cause de problème politiques internes, elle est inaudible à l’extérieur.
Le 24 mars, le gouvernement iranien a condamné les violences policières en France. "Vous devriez écouter" votre peuple "au lieu de créer le chaos dans d'autres pays", a déclaré le porte-parole du gouvernement iranien, en réponse au soutien que Paris avait lui-même affiché ces derniers mois aux manifestations contre le régime iranien. Il est classique, dans la rhétorique des régimes autoritaires, de retourner les arguments des démocraties contre elles. On se souvient, en guerre froide, de l’URSS et de ses alliés reprochant aux États-Unis les conditions de détention dans leurs prisons, au moment où l’Ouest découvrait la réalité du goulag. Mais en principe, les démocraties ne sont pas censées faciliter à ce point la propagande de ces régimes. Tout cela affaiblit non seulement la France, mais le camp démocratique dans son ensemble, et également le soutien que la communauté internationale peut apporter aux opposants iraniens.
Emmanuel Macron ne fait tout de même pas l’objet d’une condamnation unanime ?
Effectivement. Il a reçu le soutien d’Elon Musk, le nouveau patron de Twitter. Et aussi de Jeff Bezos, le patron d’Amazon et du journal qu’il possède, le Washington Post. Elon Musk a twitté : « L’âge de la retraite en France est trop bas. C’est un vrai problème ». Et le Washington Post a écrit dans son éditorial, le 17 mars, « malgré les manifestations, des réformes à la Macron sont nécessaires – et pas seulement en France ». Mais on peut douter que de tels soutiens viennent véritablement renforcer le Président français. Cela ne manquera pas d’être repris par ceux insistant sur son image de « président des riches ».
Entretien réalisé par Laurence Aubron.