Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
La semaine dernière, le Président Français et la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, sont allés en Chine pour rencontrer le Président chinois Xi Jinping. Que peut-on retenir de cette visite ?
Cette visite elle est intéressante à plusieurs titres. Déjà, parce que le Président Français n’y est pas allé seul. On n’est pas dans le cadre d’une visite bilatérale classique. Le fait qu’il soit accompagné de la Présidente de la Commission européenne, c’est plus qu’un symbole, c’est une vraie crédibilisation de l’Union européenne en tant que puissance et ça vient renforcer son poids d’acteur géopolitique. Donc rien que ça, c’est déjà un enseignement majeur. Et on peut espérer d’ailleurs qu’à l’avenir, les institutions européennes soient davantage associées à ce type de rencontres, lorsque les intérêts européens sont en jeu. Alors cette visite, bien sur, avait l’objectif de travailler la relation franco-chinoise qui avait été mise en pause depuis le Covid. C’est d’ailleurs pour ça que le Président Français est venu accompagné d’une cinquantaine d’entreprises pour qu’elles puissent signer des contrats avec des entreprises chinoises. Mais l’enjeu il est aussi européen car, rappelons-le, l’UE est le premier partenaire commercial de la Chine, et la Chine est le premier partenaire commercial de l’UE, devant les États-Unis depuis 2020.
Mais cette relation commerciale entre l’UE et la Chine, elle a été assez malmenée ces derniers mois, voire ces dernières années ?
Oui, on peut dire ça, et pour plusieurs raisons. La première, c’est la pandémie qui a mis un frein d’arrêt aux exportations et importations avec la Chine, pendant presque deux ans. La réouverture de la Chine ne date que de quelques mois, depuis la fin de la stratégie zéro-covid qui avait mis le Président Xi Jinping en difficulté, à la fois d’un point de vue économique et commercial, mais aussi social avec des résistances fortes dans la population chinoise. Donc les relations UE-Chine ont été impactées par la pandémie, et pas dans le bon sens. D’autant plus qu’on s’est rendus compte, à cette occasion malheureuse, de la dépendance excessive des Européens vis-à-vis de l’importation de certains produits ou matériels essentiels en provenance de Chine, notamment dans le champ médical et des matières premières.
C’est d’ailleurs ce qui a conduit les Européens à revoir leur stratégie commerciale avec la Chine ?
Oui, parce qu’il n’était plus possible pour l’Union européenne de défendre sa politique commerciale ultra libérale dans un contexte où elle fragilisait les intérêts européens, au lieu de les servir. Alors, ça faisait des années que beaucoup critiquaient, notamment en France, les relations asymétriques et les accords avec la Chine qui favorisaient davantage les entreprises chinoises qu’européennes. C’est d’ailleurs pour ça que, depuis quelques années, on n’entend plus un seul discours sur le partenariat avec la Chine sans que ne soit prononcé le mot de « réciprocité ». Car c’est bien dans l’absence de réciprocité des accords UE-Chine que réside l’un des problèmes principaux, notamment en termes de souveraineté.
La visite de la semaine dernière était donc l’occasion pour la France et l’Europe de négocier de meilleures conditions, un meilleur partenariat commercial ?
Oui, puisqu’on a vu aussi ces dernières semaines le plan industriel européen qui met en avant les ambitions nouvelles de l’Europe : produire 20 % des semi-conducteurs et 40 % de ses besoins en technologie verte d’ici 2030. Des produits qu’elle importait jusqu’alors en quasi-totalité de Chine ou d’ailleurs. Et le nouveau principe qui a été introduit selon lequel l’UE ne doit jamais dépendre d’un seul pays pour plus de 65 % de ses besoins : cela aura un impact direct sur les relations commerciales avec la Chine. Et le Président Xi Jinping en est bien conscient.
Mais les Européens ont-ils vraiment les moyens de négocier avec la Chine ? Quels sont leurs leviers d’influence pour obtenir de meilleures relations commerciales ?
Le principal levier, c’est le contexte. La Chine et les États-Unis sont entrés dans une guerre économique et commerciale sans précédent. Depuis quelques mois, le ton se durcit d’ailleurs encore et les enjeux militaires et de défense commencent à poindre. Le fait que la Chine soutienne la Russie vient encore aggraver cette tension avec les Américains et les Occidentaux. Sans parler de la menace qu’elle fait peser sur Taiwan. Mais contrairement aux États-Unis, les Européens ne sont pas partis prenantes de cette guerre commerciale. Chine et USA sont les deux principaux partenaires commerciaux de l’UE et cela va continuer pendant encore longtemps. Mais la Chine, puisqu’elle est de plus en plus coupée du marché américain, et même si elle trouve de nouveaux débouchés commerciaux grâce à la Russie, elle ne peut pas se passer du marché européen. Elle en est dépendante, tout comme nous le sommes du sien pendant encore de longues années.
L’Europe tient en quelque sorte le rôle de zone tampon dans cette guerre économique entre la Chine et les États-Unis ?
Zone tampon ou puissance d’équilibre, oui. Mais en faisant cela, elle fait une démonstration de puissance qu’on attendait depuis longtemps. Elle ne choisit pas son camp, elle négocie avec les deux en privilégiant ses intérêts. Et aussi évident que ça puisse paraître, pour l’UE, c’est une révolution culturelle et politique qu’elle est en train d’entreprendre. Et cette visite en Chine d’Emmanuel Macron et d’Ursula von der Leyen en est une illustration.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.