L'œil sur l'Europe - Joséphine Staron

Politique étrangère de Donald Trump : test grandeur nature pour l’« Europe-puissance »

Photo de David Dibert - Pexels Politique étrangère de Donald Trump : test grandeur nature pour l’« Europe-puissance »
Photo de David Dibert - Pexels

Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.

La semaine dernière, vous mettiez en garde contre le risque de disparition de l’Union européenne en raison des divisions internes. Mais les causes pourraient-elles aussi venir de l’extérieur ? Donald Trump et Elon Musk semblent s’y atteler en tout cas…

Oui, les divisions internes de l’UE sont réelles, mais elles sont exacerbées par des pressions extérieures. Et oui, Donald Trump et Elon Musk sont devenus des figures plus que symboliques de ces pressions, et leur impact sur l’Europe pourrait être considérable. On a d’ailleurs vu que dès son investiture, le 47ème Président américain a signé des décrets sortant les Etats-Unis des accords de Paris et l’Organisation Mondiale de la santé, comme il l’avait déjà fait lors de son premier mandat. Il donne le ton de sa présidence : « America First »…

On a l’impression qu’il essaie systématiquement de déstabiliser l’UE. C’est une vraie stratégie, selon vous ?

Oui, absolument. Depuis son premier mandat, Trump voit l’Union européenne comme un concurrent, pas comme un allié. Il a toujours préféré traiter directement avec les États européens pour affaiblir Bruxelles. Ses pressions commerciales, ses critiques sur les contributions à l’OTAN et son soutien à des leaders eurosceptiques en Europe montrent bien cette stratégie. Aujourd’hui, il utilise même des sujets comme la course aux terres rares ou l’énergie pour diviser davantage les États membres. L’affaire du Groenland en atteste, et c’est loin d’être une lubie étrange de la part du nouveau Président américain, derrière, c’est toute une stratégie qui est mise en œuvre.

Justement, ses déclarations sur le Groenland ont beaucoup surpris, et on a du mal à imaginer qu’il soit sérieux.

Détrompez-vous, il est très sérieux. Et je n’ai pas peur de dire que si Donald Trump veut le Groenland, il y a toutes les chances qu’il y parvienne. Aujourd’hui, la situation est la suivante : le Groenland appartient au Danemark même s’il dispose d’un statut d’autonomie. Donc lorsque Donald Trump dit qu’il veut que le Groenland devienne américain, cela implique donc trois options : la première c’est que le Danemark lui cède le territoire (dans le cadre d’une transaction commerciale) ; la seconde, c’est que le Danemark octroie l’indépendance totale au Groenland et que Trump rachète ensuite le territoire directement aux Groenlandais (qui sont à peine 57 000 habitants) ; enfin, troisième option, le Danemark refuse toute négociation et les États-Unis attaquent militairement le Groenland (sachant qu’ils ont déjà une base militaire sur place).

Ces options semblent toutes irréalistes.

Dans le monde d’avant, elles l’auraient été. Aujourd’hui, nous sommes entrés dans une nouvelle ère. Les Etats-Unis ne veulent plus être un modèle du multilatéralisme, ils veulent redevenir la super puissance qu’ils étaient et que le monde leur conteste aujourd’hui, notamment la Chine et la Russie.

L’objectif assumé de Donald Trump est de redessiner un ordre mondial beaucoup plus favorable aux États-Unis, notamment d’un point de vue économique et commercial. Le Groenland est stratégique dans cette optique : non seulement c’est un point stratégique majeur dans l’Arctique (au croisement de la Chine et de la Russie), mais c’est aussi un espace extrêmement riche en terres-rares et en gisements d’uranium, de fer, d’or, de nickel, etc. Et c’est encore l’une des rares régions non exploitées de la planète, du fait de la protection accordée par l’Union européenne et ses réglementations environnementales. Si le Groenland devient américain, demain, on peut être sur qu’il sera dépouillé de toutes ces richesses naturelles. Et les conséquences écologiques seront aussi dramatiques que les conséquences politiques.

Mais les Etats-Unis ont-ils vraiment les moyens de faire « plier » leurs alliés européens sur une question aussi épineuse ?

Regardez les réactions en Europe après l’annonce fracassante de Donald Trump. Tout le monde le prend suffisamment au sérieux pour ne pas réagir trop violemment. Les Européens attendent, comme ils l’ont toujours fait, de voir si Trump ira vraiment au bout de son idée. C’est un test grandeur nature pour le concept d’Europe-puissance que le Président américain nous lance. Si les Européens refusent de céder le Groenland, et qu’une confrontation militaire, même minime, se profile, cela voudra dire deux choses : premièrement, que l’article 42.7 du traité sur l’UE de défense mutuelle devrait s’appliquer car le Groenland est un territoire européen ; deuxièmement, cela voudrait dire que les Européens devraient entrer formellement en conflit ouvert avec les Etats-Unis dont ils dépendent à la fois commercialement et militairement. Or, nous ne sommes pas prêts à une telle confrontation et Trump le sait très bien. C’est pour ça qu’il va chercher à négocier avec les Européens, dans une logique transactionnelle qu’il maitrise parfaitement en bon homme d’affaires.

Quels sont les leviers de l’Europe pour répondre aux attaques de Donald Trump ?

Il n’y en a pas beaucoup. Nous avions 8 ans pour nous y préparer et nous les avons gâchés. Il nous en faudra autant ou plus pour que notre autonomie stratégique ne soit plus une chimère, mais encore faut-il que nous commencions ce grand chantier. Le vrai message de force et de puissance que l’Europe pourrait envoyer à Trump, c’est de parler d’une seule voix sur les sujets cruciaux : politique commerciale, énergétique, guerre en Ukraine, OTAN… Or, c’est toujours 27 voix qu’on entend et souvent elles divergent. Plus nous serons divisés, plus nous serviront les intérêts des Américains, mais aussi des Chinois ou, plus inquiétant encore, des Russes…

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.