Les relations franco-allemandes - Marie-Sixte Imbert

L'Allemagne dans la tourmente sociale - Marie Sixte Imbert

L'Allemagne dans la tourmente sociale - Marie Sixte Imbert

Depuis le 1er octobre 2022, le salaire minimum horaire a été augmenté en Allemagne à 12 euros bruts. Cette mesure était-elle attendue ?

Oui, et même très attendue : c’était une promesse phare des sociaux-démocrates, le SPD, et des Verts pendant la campagne des législatives de septembre 2021. C’était aussi une mesure économique et sociale clé du contrat de coalition tripartite entre le SPD du chancelier fédéral Olaf Scholz, les Verts et les libéraux du FDP : un contrat conclu en décembre 2021.

Concrètement, le salaire minimum est passé de 9,82 euros bruts de l’heure en 2021, à 10,45 euros le 1er juillet 2022, et depuis le 1er octobre à 12 euros. Une augmentation nominale de 15 %.

Qui est concerné par cette augmentation ?

Ce sont les plus de 6 millions de salariés qui étaient déjà au salaire minimum, et en tout 7,2 millions de salariés. Ce sont en majorité les moins diplômés, des salariés de l’ancienne Allemagne de l’Est, et des femmes.

J’ajoute un point : ce salaire minimum n’existe en Allemagne que depuis 2015. Et depuis, il était fixé par une commission indépendante, habitude qui a été remisée avec le vote d’une loi spécifique en juin 2022.

Cette loi concerne d’ailleurs également les “minijobs”, les petits boulots exemptés de cotisations sociales : leur revenu plafond a été augmenté et doit désormais évoluer avec le salaire minimum.

L’Allemagne n’a de salaire minimum que depuis 2015, vous le disiez : pourquoi aussi tard par rapport à la France ?

En France, nous avons le SMIC depuis 1968, et on pourrait même remonter au SMIG de 1950. La différence dans les rapports politiques, économiques et sociaux est grande : à la confrontation française régulée par l’Etat, l’Allemagne oppose traditionnellement la cogestion, et la négociation salariale au niveau des branches. La cogestion est d’ailleurs garantie par la Loi fondamentale allemande, l’équivalent de notre Constitution.

En Allemagne, l’Etat n’a donc pas a priori à intervenir. Il faut dire que l’existence de corps intermédiaires puissants et respectés appuie et facilite ce principe - Berlin connaît comme Paris une érosion de la syndicalisation, mais le pays ne part pas du tout des mêmes niveaux.

Les organisations allemandes, syndicales et patronales, comme  l’ensemble de la société, sont habituées aux compromis. Et ces organisations sont même tenues de rechercher un compromis, puisque la négociation collective a valeur constitutionnelle. Cette recherche du consensus à l’échelle des branches est une caractéristique majeure du “modèle allemand”.

Le salaire minimum horaire fédéral est donc une forme d’exception à cette tradition ?

Oui, même si sa création répondait à un débat de longue date. Et une concession des chrétiens-démocrates de la CDU- CSU à leur partenaire de coalition, le SPD. Cela a contribué à réduire les inégalités de salaires pendant la décennie 2010, après leur creusement au cours de la précédente, selon l’Institut DIW en juin 2022.

Et la hausse du salaire minimum pourrait augmenter la productivité d'environ 1 % à long terme, selon l'Institut de recherche macroéconomique et conjoncture IMK au printemps 2022.

En parlant de salaire minimum, comment se situent la France et l’Allemagne au niveau européen ?

Parlons montant : en France, le salaire minimum est depuis le 1er août 2022 à 11,07 euros bruts de l’heure - environ 1 650 euros bruts par mois. La France est au sixième rang de l’UE, derrière le Luxembourg, l’Allemagne (deuxième depuis le 1er octobre), la Belgique, l’Irlande et les Pays-Bas. Mais pour comparer le pouvoir d’achat, il faut aussi tenir compte des prix des biens et des services, comme des différences de systèmes de protection sociale.

Pour en revenir au salaire minimum, 21 États membres en ont un déterminé par la législation nationale. Dans les six autres, il est fixé par branche, ou déterminé par les négociations entre partenaires sociaux : c’est le cas de l’Autriche, de Chypre, du Danemark, de la Finlande, de l’Italie et de la Suède.

C’était d’ailleurs un objectif de la présidence française du Conseil de l’UE début 2022 : l’accord sur le projet de directive qui vise à faire converger à la hausse les salaires minimums à travers l’UE. Le texte a été adopté définitivement le 4 octobre, ce qui a ouvert une période de transposition de 2 ans.

L’augmentation du salaire minimum horaire en Allemagne était donc une promesse de campagne. Depuis, le contexte politique et économique a bien changé face à la guerre en Ukraine : comment comprendre maintenant cette mesure ?

Pour citer Olaf Scholz, cette augmentation était « cruellement nécessaire » : « cela représente davantage d’argent, mais aussi davantage de respect ». Et son entrée en vigueur le 1er octobre a été « un bon signal, particulièrement en cette période difficile ».

Quelques chiffres : l’inflation a atteint 10 % sur un an en septembre 2022 en Allemagne - à l’inverse de Paris, Berlin n’a pas (encore) instauré de bouclier énergétique, l’impact de la hausse des prix y est donc plus fort. Tandis que le pays se dirige vers la récession fin 2022 et en 2023 (- 0,4 %) selon le rapport d’automne des principaux instituts d’analyse économique. La situation ne devrait s’améliorer qu’à partir de 2024.

La lutte contre l’inflation, le soutien aux entreprises et aux particuliers, les questions de pouvoir d’achat et de négociations salariales, sont au cœur des débats dans nos deux pays. En octobre en Allemagne, le moral des consommateurs est au plus bas depuis 1991 et la période post-réunification. L’augmentation du salaire minimum était attendue, aux côtés de mesures du contrat de coalition tournées vers les plus modestes, mais ne peut (plus) suffire.

Les plans d’aide se succèdent, la crainte d’un automne socialement chaud monte, et la dissension entre États membres pourrait menacer alors que l’unité est la force première de l’Union. Ce qui pose les questions de la capacité de compromis et de résilience des sociétés et des économies, comme de la capacité des politiques et finances publiques à apporter, y compris dans une situation de crise, un soutien cohérent, proportionné et durable.

Entretien réalisé par Laurence Aubron