Cette semaine, nous retrouvons Marie-Sixte Imbert, directrice des opérations de l’Institut Open Diplomacy, pour sa chronique “Relations franco-allemandes”.
L’actualité récente, c’est le déplacement, jeudi dernier, de quatre chefs d’Etat et de gouvernement européens, en Ukraine.
Le président français, Emmanuel Macron, le chancelier fédéral allemand, Olaf Scholz, le président du Conseil italien, Mario Draghi et le président roumain, Klaus Iohannis, se sont rendus le 16 juin dernier en Ukraine. L’objectif : rencontrer le président ukrainien, Volodymyr Zelensky. Surtout, réaffirmer le soutien à l’Ukraine face à l’invasion russe, et - fait nouveau - soutenir la candidature de Kiev à l’Union européenne.
Un changement net, notamment pour la France et l’Allemagne, sur cette question de l’élargissement.
Oui, les deux pays étaient plutôt frileux depuis la demande de Kiev - c’était le 28 février dernier. Ils le restent sans doute en partie : le cas échéant, le processus d’adhésion sera long - en plus d’être réversible. Mais, pour citer Olaf Scholz, “L’Ukraine appartient à la famille européenne”. C’est un signal politique. Sachant que c’est le Conseil européen de ce jeudi et de ce vendredi qui doit statuer - après l’avis favorable, assorti de réformes à mener, de la Commission vendredi dernier.
Une parenthèse : on dit souvent que le duo franco-allemand est nécessaire - mais pas suffisant - pour avancer en Europe. Avec ce déplacement et cette prise de position commune sur l’Ukraine, c’est certainement la voie d’une unité qui a été ouverte. Alors que jusqu’ici si la Pologne, l’Italie ou les pays Baltes notamment souhaitaient l’adhésion de Kiev, les Pays-Bas, le Portugal, l’Autriche ou le Danemark étaient plus sceptiques.
Cette visite symbolique en Ukraine des chefs d’Etat et de gouvernement est d’ailleurs arrivée après de nombreuses interrogations.
Disons-le d’emblée, l’unité des Européens a sans doute été, dans l’ensemble, jusqu’ici remarquable. Néanmoins on a aussi pu s’interroger sur le positionnement de la Hongrie face à la Russie de Vladimir Poutine - tandis que le lien Pologne-Hongrie s’est distendu à l’aune du soutien massif de la Pologne à l’Ukraine. Dans un autre registre, on a aussi pu s’interroger sur le positionnement de l’Allemagne, considérée avant l’invasion quasiment comme le maillon faible des Européens et des Occidentaux.
Depuis, il y a eu le discours sur le “changement d’époque” d’Olaf Scholz au Bundestag, le 27 février.
Une révolution copernicienne - applaudie, et soutenue par une grande partie de la population. Mais le changement prend du temps. Berlin a été critiqué pour la lenteur de son soutien en armements à l’Ukraine, pour sa prudence quant aux sanctions énergétiques, et globalement la modération d’Olaf Scholz et du SPD au sein de la coalition “feu tricolore”.
Le déplacement du Chancelier fédéral à Kiev était attendu. Tandis que si Emmanuel Macron était occupé par la séquence électorale en France, Paris assure la présidence tournante du Conseil de l’UE, donc des formations des conseils des ministres. Et les propos du président sur la nécessité de ne pas “humilier” la Russie pour laisser plus tard la porte ouverte au dialogue, ont pu être mal reçus à Kiev et par une partie des Européens.
Dans ce contexte, quelles peuvent être les conséquences des élections législatives en France de ce week-end ?
Le président reste le président, élu pour 5 ans. Mais il est vrai que la coloration d’ensemble sera un peu différente. Ce qui inquiète notamment, c’est bien sûr le nombre de parlementaires des extrêmes, d’extrême-droite - et élus au scrutin majoritaire. C’est même parfois décrit comme un tremblement de terre dans la presse. Et pourtant, le résultat pourrait aussi ouvrir la voie à un fonctionnement un peu plus parlementaire de la vie politique française, contribuer à valoriser le compromis - beaucoup plus pratiqué en Allemagne ou à l’échelle européenne. Dans l’intervalle, la France pourrait être affaiblie sur la scène européenne - alors que l’Allemagne l’est aussi.
Pour en revenir au déplacement de jeudi dernier, pourquoi un tel voyage à ce moment-là ?
Vu d’Allemagne, il était sans doute temps pour le Chancelier de reprendre la main face aux interrogations et aux critiques. A l’intérieur, en Europe (face aux alliés de l’Europe de l’Est par exemple), et à travers le monde. Une reprise en mains de l’agenda international d’autant plus importante que le sommet du G7, présidé par l’Allemagne, aura lieu la semaine prochaine, du 26 au 28 juin à Elnau, en Bavière. Sommet auquel Volodymyr Zelensky participera. L’ambition de l’Allemagne pour ce G7 est claire : ”Avancer vers un monde équitable”.
Un sommet particulier, alors que le G7 rassemble les sept démocraties les plus industrialisées.
L’importance de la coordination est criante face à la guerre en Ukraine et ses conséquences - alors que les institutions multilatérales nées de 1945 sont bloquées, et que le G20 peine à dépasser les divergences fortes entre ses membres. Membres au rang desquels se trouve la Russie, contrairement au G7 depuis 2014.
Coordination des sanctions, réponse aux crises mondiales, qu'il s'agisse de sécurité, d’alimentation, mais aussi d’environnement, de climat, ou encore promotion des droits de l’homme : ces enjeux sont au cœur des priorités de la présidence allemande. L’occasion, sans doute, d’ancrer au niveau international la fameuse “Zeitenwende”, le changement de politique pour répondre à un changement d’époque, souligné par Olaf Scholz fin février.
Quel bilan faire des avancées jusqu’ici ?
Il est toujours plus facile d’examiner a posteriori les choix politiques faits, que de devoir choisir à l’instant T parmi les multiples options qui se présentent. Il reste néanmoins que le bilan de la politique de l’Allemagne ces dernières années, et décennies, est très sévère, face à la primauté donnée aux liens économiques et commerciaux, à la stabilité et la continuité.“Oser davantage de progrès”, c’est le titre du contrat de l’actuelle coalition fédérale.
Marie-Sixte Imbert au micro de Laurence Aubron