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Guerre commerciale UE-USA : Nous devons conserver une vision forte de notre autonomie stratégique

Photo de Markus Winkler - Pexels Guerre commerciale UE-USA : Nous devons conserver une vision forte de notre autonomie stratégique
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Euronomics sur euradio est une émission du Centre de Politique Européenne, think-tank spécialisé dans l’étude des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem, économiste de formation, est le représentant en France.

Bonjour Victor Wahrem ! Aujourd’hui, vous allez nous parler de la guerre commerciale qui démarre entre l’Union européenne et les Etats Unis.

Oui Laurence, ça y est, comme en 2018, Donald Trump a mis ses menaces à exécution en infligeant à l’Europe des droits de douane de 25% sur l’acier et l’aluminium européen. Cette fois-ci, la Commission beaucoup mieux préparée qu’à l’époque, a su immédiatement répondre en rétablissant les droits de douane de 2018 affectant 8 milliards d’euros d’importations européennes en provenance des Etats Unis à partir du 1er avril, mais également en étendant le champs de ces droits à d’autres produits à compter du 15 avril prochain, pour un total d’environ 26 milliards d’euros, ce que la Commission estime être l’équivalent en valeur des importations européennes aux Etats Unis d’acier et d’aluminium.

La Commission choisit donc la réponse proportionnée. Quels sont les biens américains concernés pas les droits de douane européens ?

Ces biens sont symboliques car ils ont tendance à davantage toucher les emplois américains dans les « Red States » dévoués à Trump. Il s’agit par exemple des Harley-Davidson, des embarcations de plaisance, mais aussi du ketchup, des liqueurs comme le « bourbon », de la viande, du plastique et enfin de l’acier et de l’aluminium américains bien sûr.

L’Europe n’y va pas de gaité de cœur mais elle y va tout de même, sans naïveté ni faiblesse. À ce stade en tout cas.

Qu’entendez-vous par-là, Victor Warhem ?

J’entends par là que ces droits de douane américains – dont la précédente salve de 2018 n’avait été interrompue qu’au retour des démocrates au pouvoir en 2021 – pourrait tout de même mener ici à un « deal », dans un esprit transactionnel cher à Trump, entre les Européens et les Américains.

Mais pourquoi les Européens seraient-ils tentés de chercher un deal ici ?

Alors soyons clairs ma chère Laurence, ils ne sont en aucun cas tenus d’en chercher un. Ils pourraient tout à fait décider que ce signal protectionniste américain doit les inciter au contraire à trouver d’autres solutions, soit en allant voir ailleurs, soit en commençant à bâtir un véritable modèle de croissance européen, en s’appuyant par exemple sur les industries de défense compte tenu du contexte, et sur le développement de l’euro comme outil de puissance financière.

Pour autant, l’Europe reste le continent le plus ouvert, et l’accord UE-MERCOSUR dont nous parlions ici en décembre dernier, témoigne par exemple d’une volonté européenne de poursuivre sa politique d’ouverture commerciale.

Dans ce cadre, si l’Union européenne persiste globalement à vouloir rester largement ouverte, cela pourrait inciter les autorités à chercher un compromis avec Trump.

Je vois où vous voulez en venir, et donc que pourrait faire les Européens dans ce cadre ?

Je crains que la nature du ou des deals qui pourraient survenir de nous plaise pas du tout.

Typiquement, les griefs américains à l’égard de l’Union européenne concernent à la fois le déficit commercial américain et la régulation des GAFAM en Europe, qui réduit leurs opportunités sur le continent.

Ainsi, il se peut bien que certains Européens, qui pourraient l’emporter dans le débat, veuillent conclure avec Trump un accord d’achat de gaz liquéfié américain pour définitivement remplacer le gaz russe. Je ne crois pas en revanche que la politique européenne en matière de numérique sera troquée contre un rétablissement des relations commerciales.

Nous avons besoin de remplacer le gaz russe, Victor Warhem, quel est le problème alors ?

Au-delà d’un potentiel accord avec l’Union européenne, je crains qu’il y ait aussi un accord germano-américain consacrant une part du plan de relance allemand dans la défense à l’achat d’armes américaines. L’attitude allemande concernant l’utilisation des 150 milliards d’eurobonds, consacrés à la défense et annoncés la semaine dernière, le confirme.

En effet, les Allemands souhaitaient dans un premier temps ouvrir les achats européens communs convenus pour ces 150 milliards à des acteurs extra-européens, ce que les Français ont refusé. La Commission a finalement tranché en faveur de la France.

Les Allemands ne semblent donc pas forcément convaincus que l’Europe doit davantage compter sur elle-même à l’avenir.

Cette attitude en dit long sur la philosophie allemande qui, sur le fond, ne semble toujours pas avoir changé. Ils se pourraient qu’ils ne soient pour l’heure toujours pas capables de faire une croix sur l’allié américain, ni de réviser leur vision du monde, car toute leur industrie est orientée vers le commerce international. Je crois donc qu’une partie des 500 milliards de relance allemande prévue dans la défense pourrait donc aller aux Etats-Unis, et que cela pourrait faciliter la fin de la guerre commerciale.

Quelle serait ici la bonne attitude selon vous, Victor Warhem ?

Je crois que nous devons au contraire nous battre pour une Europe qui a bien saisi que les Etats Unis se seront plus jamais un allié fiable et que leur faire des cadeaux sans soi-même s’amender ne nous conduira ni à la souveraineté, ni à la prospérité.

L’Europe peut garder une politique commerciale ouverte, tentant même de faire ce que fait la Chine actuellement, c’est-à-dire remplacer les Etats Unis là où ils détériorent leurs relations commerciales, comme en Colombie. Mais elle ne doit pas sacrifier sa capacité à agir en toute autonomie dans un monde où les conflits entre puissances régionales vont se multiplier.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.