L'état de l'État de droit - Elise Bernard

Le mandat d’arrêt européen des saboteurs des ‘Nordstream’

Image par Johannes Rupf de Pixabay Le mandat d’arrêt européen des saboteurs des ‘Nordstream’
Image par Johannes Rupf de Pixabay

Elise Bernard, docteur en droit public et enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque lundi sur Euradio les implications concrètes de l'État de droit dans notre actualité et notre quotidien. Ses analyses approfondies, publiées sur la page Europe Info Hebdo, offrent un éclairage précieux sur ce pilier fondamental de l'Union européenne.

L’Etat de droit en Europe c’est le mandat d’arrêt européen, cette procédure qui permet à un Etat membre de demander à un autre Etat membre de lui remettre un prévenu afin qu’il se fasse juger sans la lourdeur de la traditionnelle extradition.

Oui cette procédure qui symbolise la confiance établie entre les systèmes judiciaires européens symbolise clairement cette vision exigeante de l’Etat de droit.

C’est en vertu du mandat d’arrêt européen que l’Allemagne a demandé à l’Italie et à la Pologne de leur remettre deux citoyens ukrainiens impliqués dans le sabotage des gazoducs Nordstream.

Oui Laurence, on se rappelle qu’en septembre 2022, la guerre fait rage depuis six mois en Ukraine, et les gazoducs reliant la Russie à l’Allemagne sont gravement sabotés. Les explosions provoquent d’immenses fuites de gaz. Longs de 1 220 kilomètres de tuyaux sous la mer Baltique, les gazoducs fournissaient une grande partie de l’Europe en énergie, et Berlin en premier lieu.

A ce moment-là ils n’étaient plus en service mais il restait du gaz dedans.

Voilà. Si l’on comprend le message derrière ce sabotage, la gravité de ce dernier amène certains à vouloir remettre en question l’aide apportée à Kiev par l’Europe, puisque les enquêteurs allemands désignent les responsables comme étant citoyens ukrainiens.

La justice italienne a donc approuvé la remise à l’Allemagne d’un ancien officier ukrainien soupçonné d’avoir coordonné le sabotage qui était sur son territoire.

Il s’agit d’un membre des forces armées ukrainiennes au moment des faits reprochés. Arrivé le 27 novembre dernier, en Allemagne, la détermination de son statut est essentielle car il n’a mis à fin à ses fonctions dans l’armée ukrainienne qu’en 2023. Si à ce moment, il répondait à des ordres militaires, l’affaire prendra une toute autre tournure.

On relève que le mandat d’arrêt signifie un sabotage et non un acte de terrorisme.

Oui c’est important. Pour la justice italienne ça l’est mais cela semble “trop” pour la justice polonaise!

Un second individu, plongeur, a lui été interpellé en Pologne à la demande de l’Allemagne. Et l’exécution du mandat d’arrêt a été refusée par la justice polonaise.

Ce qui est surprenant, c’est la tournure très politique de la décision du juge polonais de ne pas remettre le prévenu à la justice allemande.

Pourtant, l’exécution d’un mandat d’arrêt européen n’a, a priori, rien de politique puisque les systèmes judiciaires des Etats membres se reconnaissent mutuellement !

Oui, c’est ce que l’on peut comprendre quand le Premier ministre polonais, Donald Tusk, dit laisser la responsabilité au tribunal compétent. Et ce dernier fait écho aux réflexions de la justice italienne et allemande. D’abord, les juges polonais disent ne disposer d’aucun élément pour savoir si Kiev était le donneur d’ordre dans l’explosion des gazoducs.

Cela signifie que les Allemands ont un doute mais que les Polonais préfèrent écarter ce doute.

Tout à fait et cela s’entend. Ce qui est surprenant c’est que la justice polonaise se permet de commenter les destructions - je cite “des pipelines de l’ennemi, on ne peut pas qualifier ces activités d’illégales. Elles étaient fondées, rationnelles et justes”. Après cette décision, D. Tusk admet d’ailleurs trahir le mécanisme du mandat d’arrêt européen, pour une cause que lui-même et les juges polonais estiment prioritaire. A suivre avec attention, donc!

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.