Nous retrouvons Anna Creti, professeure d'économie à l'Université Paris Dauphine et Directrice scientifique de la chaire économie du gaz naturel et de la chaire Economie du climat.
Le Président Biden a passé quelques jours en Europe, dans un contexte extrêmement tendu. En plus de la défense et de l’Otan, il a été question d’énergie. Quels sont les éléments à retenir ?
La coopération entre France et Etats Unis en matière d’énergie avait commencé fin 2021, avec la signature d’un partenariat, mis en place sous l'égide de l’« U.S. Department of Energy » et de l’« U.S. Department of State » pour les États-Unis, et du ministère de la Transition écologique et du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères pour la France. La relance d’ l’économie après le Covid faisant augmenter la demande et donc les prix de l’énergie, la France, en amont de sa présidence du conseil européen, avait jeté l’essentiel de la coopération sur: (i) la politique énergétique, la technologie et l'innovation ; et (ii) les efforts diplomatiques pour accélérer la transition énergétique et atteindre les objectifs climatiques. Le conflit russo-ukrainien est venu complétement modifier le scenario de ce partenariat, en glissant le curseur sur l’urgence du gaz. Du partenariat on passe à la Task Force, un véritable tournant.
Quels sont les objectifs de cette task force ?
Dans la déclaration de la Maison Blanche d’une part et de la Commission Européenne de l’autre on peut lire les détails de l’accord. Cette Task Force pour la sécurité énergétique sera présidée par un représentant de la Maison Blanche et un représentant du Président de la Commission européenne. Elle s'efforcera d'assurer la sécurité énergétique de l'Ukraine et de l'UE en prévision de l'hiver prochain et du suivant, tout en soutenant l'objectif de l'UE de mettre fin à sa dépendance à l'égard des combustibles fossiles russes. La Task Force organisera ses efforts autour de deux objectifs principaux : (1) Diversifier les approvisionnements en gaz naturel liquéfié (GNL) en accord avec les objectifs climatiques ; (2) Réduire la demande de gaz naturel.
La question qui suit est naturellement celle du potentiel du GNL américain, pour remplacer le gaz russe.
La Commission vient de signer REpowerEu, document dont l’objectif est justement l’indépendance de la Russie. Mais à 2030. Et encore, il faudra voir. En même temps, on n’est pas sûrs à ce jour si une véritable rupture d’approvisionnement soit une des conséquences possibles du conflit. Alors on a besoin d’une assurance. Voilà que les Etats Unis nous en fournissent une. Mais il s’agit d’une assurance partielle : 15 milliards de mètres cubes en 2022, au moins. Après il faudra voir. Moins d’un tiers de l’approvisionnement russe (en moyenne 155 milliards de mètres cubes par an) pour finir l’année. Donc ce GNL aidera l’Europe à remplir ses stockages. Rappelons qu’en matière justement de stockage, l’objectif d’avoir 80% de la capacité européenne pleine, avant l’hiver, set devenu l’objectif de la Commission.
Les Etats-Unis sont-ils en train de devenir « le » concurrent du gaz russe ?
Cette semaine on m’a demandé su les Etats-Unis étaient déjà vainqueurs sur le front de l’énergie. Pour augmenter les exportations vers l’Europe, dans un contexte où la demande de gaz américaine est aussi élevée, il faudra forcer la production, réactiver la filière du gaz de schiste. Rappelons que les Etats Unis ont déclaré un embargo sur le gaz russe. Facile, ils en reçoivent 0 mètres cubes. L’Europe n’est pas à mesure de le faire, pour l’instant. Aussi. Il faudra du côté européen comprendre les détails de l’accord singé aves les Etats-Unis, le prix auquel ce gaz sera payé, qui va le réceptionner et comment on pourra le redistribuer. Dans ce cadre je ne sais pas on peut dire les Etats Unis vainqueurs ou nouveaux concurrents de la Russie. Je pense par contre qu’à court terme le GNL américain est un simple pansement pour les européens. Et qu’à long terme, si les Etats Unis augmentent la production de gaz et de pétrole, on va vraiment à contre sens de la transition vers une énergie propre et une économie moins carbonées. Et là, il n’y aura pas de vainqueurs.
Anna Creti est Professeure d’économie à l'Université de Paris Dauphine-PSL, Directrice scientifique de la Chaire Économie du Gaz Naturel et de la Chaire Économie du Climat, qui développe des programmes de recherche autour de l’économie du changement climatique.
Anna Creti au micro de Laurence Aubron