Comme toutes les semaines, nous accueillons Jenny Raflik, professeure d'Histoire à l'Université de Nantes pour sa carte blanche de la PFUE.
Vendredi 1er avril a eu lieu un sommet UE - Chine entre, d’une part, les dirigeants chinois, et, d’autre part, et Ursula von der Leyen, Charles Michel et Emmanuel Macron. Un sommet qui intervient à un moment critique pour les relations entre la Chine et l’Union Européenne ?
Le sommet de cette semaine était le 23e de ce type. Il avait été prévu bien avant la guerre en Ukraine. C’était le premier depuis 2020, en raison de la pandémie de covid. Et il s’est déroulé en visioconférence. Ceci dit, il est vrai que la guerre en Ukraine a fortement perturbé l’agenda diplomatique et l’ordre du jour de ce sommet, qui intervient dans un contexte particulier pour la relation sino-européenne.
D’un côté, les échanges entre l’Union et la Chine n’ont jamais été aussi importants : 828 milliards de dollars de biens et services échangés en 2021. L’Union européenne est le premier partenaire commercial de la Chine, à l’import comme à l’export.
D’un autre côté, la Chine demeure un partenaire privilégié de la Russie. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, ses achats d’hydrocarbures russes aident Moscou à atténuer les effets des sanctions européennes. Et la Chine s’est abstenue lors des votes de l’ONU sur le conflit ukrainien.
Signe que le conflit en Ukraine ne fait que souligner davantage les rivalités déjà anciennes entre la Chine et l’UE.
Il s’agit notamment de rivalités stratégiques ?
Oui, à au moins trois niveaux.
La rivalité se manifeste d’abord à l’égard des pays en développement, tout d’abord. Côté européen, on a lancé en décembre 2021 le programme d’investissement « Global Gateway », doté de 300 milliards d’euros pour la période 2022 – 2027. Il s’agissait de contrer la « Belt and Road Initiative » (BRI) chinoise qui a prêté aux pays en développement plus de 500 milliards de dollars depuis 2013. Nous le savons : le gouvernement chinois avance de l’argent aux pays en développement pour construire des infrastructures. Ensuite il saisit ces infrastructures en échange d’un effacement de ses créances. Un port sri-lankais est ainsi passé aux mains des Chinois pour 99 ans en juillet 2017. Lors du Sommet UE-Afrique du 18 février dernier, les Européens ont confirmé qu’ils aideraient certains pays africains à se dégager de ce piège de la dette chinoise.
Deuxième niveau : l’Union européenne se trouve prise en étau dans la rivalité sino-américaine. Plus proche des Etats-Unis que de la Chine, il lui faut réussir à se positionner entre les deux, sans faire figure de satellite de la puissance américaine. Et cela n’est pas simple.
Enfin, la rivalité est directe avec la Chine. En février, l’Union Européenne a porté plainte devant l’OMC contre la Chine en raison de l’amende quotidienne de 150 000 euros imposée aux entreprises européennes souhaitant porter plainte hors de chine pour… vol de technologie. Oui, la Chine impose une amende aux entreprises européennes qui osent se plaindre d’avoir été volées. La réciprocité est loin d’être acquise dans les pratiques commerciales et technologiques des deux partenaires.
De manière plus large, les désaccords politiques sont nombreux.
En effet. Ils se cristallisent du fait de visions différentes du monde. Les Européens accordent une importance prioritaire aux Droits de l’Homme et aux questions environnementales, tandis que les Chinois font de la croissance économique leur priorité absolue.
Cela se perçoit dans les accords conclus. Depuis 2013, Européens et Chinois ont négocié un Accord Général sur les investissements (AGI). Il incluait la fin du transfert de technologie pour les entreprises européennes qui s’installent en Chine, l’ouverture de nouveaux marchés chinois pour les entreprises européennes, ainsi que l’engagement de la Chine à respecter les droits de l’Homme et à favoriser la transition écologique.
Mais cet accord est gelé depuis mai 2021, pour de multiples raisons. La répression des manifestations en faveur de la démocratie à Hong-Kong et le recours au travail forcé des Ouighours ont entrainé des sanctions européennes, auxquelles ont répondu des contre-sanctions chinoises à l’encontre de parlementaires et chercheurs européens.
A tout cela s’ajoute la question de Taïwan : la Chine bloque les exportations de Lituanie destinés à son marché, en raison de l'ouverture d'un bureau de représentation de Taïwan à Vilnius.
La guerre en Ukraine n’a donc que rajouté un facteur de tension supplémentaire ?
Elle a surtout mis en lumière les difficultés du dialogue avec la Chine. Le 18 mars, l’Union européenne a annoncé de possibles sanctions supplémentaires à l’égard de la Chine, si celle-ci envoyait du matériel militaire à la Russie.
Mais le soutien chinois à la Russie est plus indirect et difficile à contrer pour l’Europe. En maintenant son commerce et en augmentant ses achats sur le marché russe, la Chine contribue à soutenir l’économie russe et à affaiblir les sanctions européennes, sans pour autant afficher officiellement un soutien politique à la guerre en Ukraine.
À l’ONU, la Chine s’est abstenue. Elle n’a pas soutenu la Russie. Elle ne s’y est pas opposée. On est toujours dans l’entre-deux chinois.
Alors, quelles sont les perspectives pour les relations sino-européennes ?
Il existe une interdépendance économique impossible à nier entre les deux partenaires. L’Europe ne peut pas se passer du partenaire chinois. C’est une évidence. Mais l’inverse est également vrai.
L’Europe peut donc jouer sur les priorités chinoises : la Chine est-elle prête à mettre en péril le partenariat économique privilégié avec l’Union européenne pour la Russie ? En termes de chiffres, la Chine a plus à gagner avec le partenaire européen qu’avec le seul partenaire russe.
La Chine pourrait aussi utiliser sa relation privilégiée avec la Russie comme un levier diplomatique. Cela servirait sa politique de puissance. Tout en favorisant les intérêts de la paix. Le jeu en vaut sans doute la peine.
Jenny Raflik au micro de Cécile Dauguet