Comme chaque semaine, nous retrouvons Olivier Costa, directeur au département d'études politiques et de gouvernance européenne au Collège d'Europe pour sa carte blanche sur la Présidence française de l'Union européenne.
Clément Beaune, le ministre délégué aux affaires européennes, estime qu’il est mensonger de dire que l’Ukraine pourrait entrer dans l’Union dans 6 mois ou 2 ans, et qu’il s’agit plus sûrement de 15 ou 20 ans. Est-ce vrai ?
Il a raison. Le processus d’adhésion à l’Union est long et complexe, et ce n’est pas rendre service à l’Ukraine que de le nier. M. Zelensky n’a pas apprécié cette déclaration, mais je ne suis pas sûr que prétendre le contraire aide les Ukrainiens. Ce serait comme de promettre à un club de foot de National 2 qu’il va jouer la prochaine saison en Ligue 1 : ce serait soit lui mentir, soit le mettre dans une situation intenable…
Pourquoi est-ce si long ?
Il faut d’abord que le pays soit une démocratie respectueuse de l’État de droit, et une économie de marché capable d’affronter la concurrence du marché de l’Union. Le pays qui remplit ces conditions peut se voir reconnaître le statut de « candidat ». Mais il n’entre dans l’Union que le jour où il respecte tout l’acquis communautaire, c’est-à-dire les traités, mais aussi toutes les règles de droit européen et les politiques de l’Union. Cela exige un immense travail d’adaptation des politiques, des structures et des institutions de l’État candidat.
Il n’existe pas de procédure accélérée ?
Le Conseil européen pourrait attribuer rapidement le statut de « candidat » à l’Ukraine, et se montrerait moins exigeant qu’avec la Turquie ou les pays d’Europe centrale et orientale. Dans le contexte actuel, on peut imaginer qu’il veuille envoyer un signal à M. Poutine et à la population ukrainienne. En revanche, pour ce qui concerne l’adhésion elle-même, il n’y a pas de miracle. Même avec un fort soutien technique de la Commission et des États membres, même avec une mobilisation des autorités politiques et administratives ukrainiennes, l’intégration de l’acquis communautaire prendra beaucoup de temps, parce que la tâche est immense, et le pays désorganisé par la guerre. En outre, quelle que soit la sympathie qu’inspire le sort des Ukrainiens, il n’y aura pas d’unanimité au sein du Conseil européen pour accepter l’adhésion d’un pays qui n’est pas prêt. Pour filer la métaphore du foot, ce serait comme accueillir dans un championnat une nouvelle équipe qui aurait le droit de jouer avec les mains.
Mais Charles Michel a quand même évoqué la possibilité pour les pays candidats de participer progressivement à certaines politiques et projets…
Oui, et c’est tout nouveau. L’idée est que ces pays soient intégrés à certaines politiques, à mesure de leurs progrès dans l’intégration de l’acquis communautaire, de façon à bénéficier d’avantages sans attendre l’adhésion formelle. Ces avancées seraient toutefois réversibles, si le pays ne remplissaient plus les conditions – conformément à l’idée avancée par les autorités françaises en 2020. Dans le passé, les pays candidats ont déjà pu compter sur des bénéfices avant leur adhésion formelle, avec les fonds et programmes de pré-accession, mais l’impact était plus modeste. Il reste à faire valider ce dispositif par les 27, et il n’est pas certain que tous soient enthousiastes… En outre, cette évolution me semble peu susceptible de consoler les Ukrainiens du caractère très lointain de leur entrée dans l’Union.
C’est donc pour cela qu’Emmanuel Macron a proposé la création d’une Communauté politique européenne ?
Oui, car on ne peut pas demander aux Ukrainiens d’attendre 15 ou 20 ans pour entrer dans l’Union ; il leur faut une perspective plus immédiate. En partant d’une feuille blanche, on peut créer rapidement une nouvelle organisation internationale, dont les ambitions seraient limitées mais immédiates. L’idée progresse : elle a été reprise par Charles Michel, le Président du Conseil européen, qui parle à présent de « Communauté géopolitique européenne ». Le sujet est inscrit à l’agenda du sommet européen des 23 et 24 juin. Cette Communauté s’étendrait de l’Islande à l’Azerbaïdjan, de la Norvège à la Turquie, et inclurait les pays des Balkans occidentaux et ceux du Partenariat oriental. Elle serait focalisée sur les relations extérieures, mais pourrait inclure des programmes de l’Union ne nécessitant pas d’alignement réglementaire – tels que la recherche, le développement ou l’énergie. Cette nouvelle organisation ne serait pas un substitut à l’élargissement de l’Union. Mais l’idée déplaît fortement du côté de Kiev où l’on voit les choses autrement.
Olivier Costa au micro de Laurence Aubron