Comme chaque semaine, nous retrouvons Olivier, directeur au département d'études politiques et de gouvernance européenne au Collège d'Europe pour sa carte blanche sur la Présidence française de l'Union européenne.
Rappelons les faits : le 19 janvier, Emmanuel Macron est intervenu devant le Parlement européen (PE) pour présenter le programme de la Présidence française du Conseil de l’Union. Après son discours, une cinquantaine de députés européens ont pris la parole pour réagir, pendant plusieurs heures. Les élus français ont fait le forcing pour s’exprimer au nom de leur groupe. Certaines interventions ont retenu l’attention, car elles étaient très focalisées sur la campagne présidentielle. Plusieurs députés se sont faits les porte-paroles des adversaires d’Emmanuel Macron : Jordan Bardella (RN) pour Marine Le Pen, Manon Aubry et Manuel Bompard (LFI) pour Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot (EELV) pour lui-même, ou encore François-Xavier Bellamy (LR) pour Valérie Pécresse. Ils ont notamment dressé un bilan très sévère de l’action d’Emmanuel Macron à la Présidence depuis 2017.
N’était-ce pas de bonne guerre ?
En un sens, si. Il est manifeste qu’Emmanuel Macron utilise la Présidence française du Conseil de l’Union pour préparer sa candidature à la présidentielle. Ce rôle lui permet d’affirmer sa stature internationale – ce qui est important compte tenu des prérogatives du Président en France. Mais, à sa décharge, il faut reconnaître que son discours n’a pas évoqué des enjeux de politique française, à l’inverse de celui de nombre de ses contradicteurs français. Ensuite, il ne s’est pas fait prier pour leur répondre, de manière assez mordante, et sur le terrain de la politique nationale. De sorte qu’on avait l’impression d’assister à un débat de campagne.
Plusieurs élus ont protesté en séance ou sur les réseaux sociaux contre ce détournement franco-français du débat, et la nouvelle présidente du PE, Roberta Metsola, est intervenue pour rappeler que la séance ne portait pas sur la campagne présidentielle française…
La présidente ne pouvait-elle pas mettre un terme à ces dérives ?
Il n’existe pas de règle précise quant à ce qu’un député peut dire ou pas au PE. Par définition, un parlement est un endroit où l’on parle, et un élu doit pouvoir s’exprimer librement au nom de ses électeurs. La prise de parole et le temps de parole sont très contrôlés au PE, et il y a des règles interdisant et sanctionnant les insultes ou les comportements violents, mais il n’y a pas limite quant aux sujets qui peuvent être évoqués. Fondamentalement, le PE est supposé pouvoir évoquer toutes les questions en rapport avec l’intégration européenne – ce qui fait déjà beaucoup. Dans les faits, et depuis toujours, on parle de tout au PE, y compris de la situation dans des pays tiers ou dans des États membres, ou de grandes questions de société sans rapport direct avec les compétences de l’Union. La Présidente n’avait donc pas de motif pour interrompre les orateurs…
Cette séquence va-t-elle être préjudiciable à la PFUE ?
Les Français ont fait les Français. Ils ont été, comme souvent, nombrilistes, estimant qu’ils pouvaient imposer à toute l’Europe leurs préoccupations de politique intérieure, et que les 631 députés européens qui ne sont pas français étaient nécessairement passionnés par cet enjeu.
Cela ne fait renforcer le mélange d’espoir et de suspicion qui entoure toujours les présidences françaises. On en espère beaucoup, car on sait que dans l’Union rien ne se passe s’il n’y a pas une initiative politique forte pour faire avancer des dossiers-clés ou lancer de nouveaux chantiers, et que la France a la capacité de le faire, par sa place dans l’histoire de l’intégration, son poids politique et la liberté d’action dont dispose son Président en matière d’affaires étrangères. Mais on soupçonne aussi toujours les Français de tirer la couverture à eux, de se regarder le nombril et d’afficher des ambitions démesurées – tout en négligeant les aspects opérationnels et en oubliant de consulter leurs partenaires. Après cette séquence, la France est attendue au tournant…
Olivier Costa au micro de Laurence Aubron