Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.
Cette semaine, Quentin Dickinson, vous voulez à nouveau nous faire remonter le temps…
Nous sommes au petit matin du 15 juin 1389, dans une vaste plaine à une dizaine de kilomètres de PRISHTINA en Moravie serbe, où deux armées s’apprêtent à s’affronter dans ce qui sera l’une des plus grandes batailles du Moyen- âge tardif : les forces moravo-serbes et bosniennes du Prince Lazare dépassent les 20.000 hommes ; celles du Sultan ottoman Mourad Ier en comptent 10.000 de plus. A la tombée de la nuit, la mort aura emporté le Prince et le Sultan ainsi que la plus grande partie de leurs troupes.
Cette boucherie, que l’Histoire retient – sans qu’on sache trop pourquoi - sous le nom de Bataille de la Plaine des Merles, n’aura pas empêché la poursuite de l’expansion dans les Balkans de l’Empire ottoman. A CONSTANTINOPLE, on y voit donc une victoire.
Mais, de leur côté, les Serbo-bosniens soutiennent tout autant que la victoire leur appartient, car jusque-là, aucun Sultan ottoman n’avait trouvé la mort au combat.
Fin de l’épisode, rapidement chassé des mémoires par d’autres guerres et autant d’horreurs.
Du moins, pendant plus de quatre siècles.
Et que se passe-t-il quatre siècles plus tard, au XIXe siècle, donc ?...
Le XIXe, c’est un temps défavorable aux empires, tropétendus géographiquement pour pouvoir assurer l’indispensable gestion en temps réel, que les moyens de communication de l’époque ne permettaient pas encore. L’empire autrichien est progressivement réduit, et, comme les empires russe, allemand, et ottoman, ne survivra pas à la Grande guerre de 1914 à 1918. En France, ce sont deux régimes impériaux qui naîtront et disparaîtront au cours de ce XIXe siècle.
Mais cette disparition ne s’explique pas uniquement par les difficultés de communication entre les capitales et des régions éloignées, Quentin Dickinson…
En effet : l’accélération de la dislocation des empires est due en grande partie aux nombreux mouvements, nationalistes et séparatistes, qui les minent de l’intérieur.
Et c’est là, précisément, que l’on se souvient chez les nationalistes serbes de la Bataille de la Plaine des Merles, qui, en peu de temps (et selon des versions fortement améliorées) devient le symbole du glorieux soulèvement du peuple serbe contre l’oppresseur ottoman, lequel administre toujours tant bien que mal la plus grande partie des Balkans.
Et, dans le récit national serbe, la Plaine des Merles demeure à ce jour une forte référence, dès l’école primaire.
Où voulez-vous en venir ?...
Simplement à ceci : il se trouve que la Plaine des Merles se situe aujourd’hui au Kosovo, pays désormais indépendant, albanophone, et peuplé de musulmans modérés – situation reconnue internationalement, mais inacceptable pour une majorité des voisins serbes.
L’inconvénient, c’est que ce conflit larvé (et quelque peu picrocholin) constitue un élément d’instabilité permanent sur le territoire de feue la Yougoslavie, dont deux composantes, aujourd’hui indépendantes, la Slovénie et la Croatie, sont membres de l’Union européenne, et les autres, à différents degrés, y sont candidats – dont le Kosovo et la Serbie.
Et rien ne s’arrange entre eux ?...
Pas vraiment, d’autant que cela crée par ricochet des situations délicates en interne pour chacun : en Serbie, le Président Aleksandar VUČIĆ doit se livrer à un affligeant numéro d’équilibrisme entre BRUXELLES et MOSCOU ; au Kosovo, le Premier ministre Albin KURTI vient la semaine dernière d’être censuré par le Parlement, alors que les élections législatives de février dernier avaient abouti à un blocage institutionnel. Le Président Vjosa OSMANI n’a que dix jours pour nommer un nouveau Premier ministre, faute de quoi, les Kosovars seront priés de s’en retourner aux urnes.
L’impasse constitutionnelle et les lamentables querelles politiciennes mettent en péril la trajectoire européenne du Kosovo, ainsi qu’à l’accès au Fonds européen de Croissance pour les Balkans occidentaux, doté tout-de- même de 6 milliards d’Euros, dont auraient bien besoin les plus d’un million et demi d’habitants de ce pays, l’un des plus pauvres du continent.
Alors, merci au souvenir des bien noirs Merles de la Plaine.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.
