Chaque semaine, Lyudmyla Tautiyeva nous propose un aperçu de ce qu'il se passe aux frontières de l'Union européenne, traitant de sujets divers tels que la gouvernance, l’entreprenariat, ou encore l'innovation.
Bonjour Lyudmyla ! Cette semaine, nous continuons notre discussion autour du soutien de l’Union européenne à l’Ukraine, concernant sa sécurité énergétique. Il s’est déroulé, il y a peu, l’Assemblée générale de l’ONU à New-York.
Tout à fait. Le Président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, y a fait un discours le 26 septembre dernier, dans lequel il a alerté sur les plans de l’armée russe. Celle-ci aurait pour objectif de complètement priver l’Ukraine d’électricité cet hiver, en frappant les postes électriques qui alimentent les trois dernières centrales nucléaires ukrainiennes encore en activité. Depuis février 2022, l’Ukraine a perdu plus de la moitié de ses capacités de production d’électricité.
Lors du G7, en juin 2024, Josep Borell, vice-président de la Commission européenne, a souligné l’importance, pour l’UE, de continuer d’aider l’Ukraine à assurer sa sécurité énergétique car cela contribue également à la sécurité globale de l’Europe. J. Borell a aussi parlé d’exports d’électricité renforcés vers l’Ukraine, dans le but d’aider le pays à réparer ses infrastructures énergétiques, et à réduire le déficit d’électricité qu’il pourrait subir cet hiver.
Comment ces exportations se passent-elles concrètement ?
En mars 2022, suite à l’invasion de la Russie en Ukraine, l’UE a décidé la synchronisation des réseaux électriques de l’Ukraine et de la Moldavie avec son réseau continental européen (the European Network of Transmission System Operators for Electricity, ENTSO).
Cette synchronisation était prévue dans le cadre de l’accord du « Partenariat oriental » entre ces deux pays et l’UE, et a été accélérée au vu de la menace russe envers leur sécurité énergétique. La connexion des réseaux électriques ukrainiens et moldaves avec ceux de l’UE a pris 3 semaines au lieu d’un an au vu des circonstances exceptionnelles. Elle a permis, dans le cas de l’Ukraine, d’assurer l’export de l’électricité pour compenser le déficit résultant des bombardements russes sur les centrales électriques.
Plus encore, la synchronisation avec le réseau européen a rendu possible l’export d’électricité de l’Ukraine vers l’UE. En effet, l’Ukraine pouvait exporter, avant les attaques russes, presque 700 MW par mois, soit l’électricité suffisante pour alimenter plus de 700 000 foyers dans l’UE.
Comment la connexion au réseau électrique européen peut elle aider l’Ukraine cet hiver ?
Je rappelle que le soutien de l’UE a pour objectif de couvrir 25% des besoins ukrainiens en électricité cet hiver, soit presque 5 GW. 15% sont assurés par la réparation des stations de distribution et de génération d’électricité. Les 10% restant sont assurés par les exports d’électricité de l’UE vers l’Ukraine. Le but est d’atteindre 2.2 GW au lieu des 1.7 GW existants avant l’arrivée de l’hiver. Cela représente l'équivalent de la perte en production d'électricité de la centrale nucléaire de Zaporizhzhia, qui, comme vous le savez, est sous occupation russe.
Comment l'Ukraine envisage-t-elle de résoudre ses problèmes d'approvisionnement électrique à long terme ?
S’assurer que les infrastructures énergétiques sont bien protégées des potentielles frappes de missiles russes, c’est le premier pas. Cela reste encore difficile comme nous avons pu le voir avec vous dans le podcast précédent.
De plus, les frappes russes contre les infrastructures énergétiques ukrainiennes ont posé la question de la décentralisation du système énergétique. Actuellement l’Ukraine a un système très centralisé dû à l’héritage post-soviétique. Autrement dit, pas d’électricité signifie pas de chauffage, pas d’eau chaude, et il faudra monter au dixième étage à pieds si vous habitez une immeuble typique des grandes villes ukrainiennes.
Ainsi, la décentralisation du système d’électricité passerait par des investissements dans le déploiement des énergies renouvelables, comme les batteries solaires, par exemple, qui sont plus difficiles à viser que les grandes centrales thermiques ou hydroélectriques. D’ailleurs, la France est assez investie sur ce sujet.
La France a récemment annoncé une aide de 60 millions d'euros à l'Ukraine dans le domaine de l'énergie. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Le soutien auquel vous faites référence, comporte des projets de renforcement du système énergétique ukrainien avant l’arrivée de l’hiver, mais aussi des mesures de décentralisation énergétique.
Le fait que l’Ukraine et la France soient proches dans leur mix énergétique, c’est-à-dire dans la combinaison d’énergie nucléaire et de sources d'énergie renouvelable, fait que la coopération entre les deux pays, à court, mais aussi à long terme, pourrait être très bénéfique. D’un côté, l’Ukraine pourrait apprendre de l’expérience française dans le développement et la gestion de ce mix énergétique, et de l’autre côté, la France pourrait en tirer des bénéfices économiques, notamment chez les géants français comme EDF ou ENEDIS, impliqués dans ces projets en Ukraine.
Finalement, en aidant l’Ukraine à assurer sa sécurité énergétique, l’UE contribue à sa propre politique de sécurité énergétique et renforce ses intérêts dans la région.
Merci, Lyudmyla !
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.