’Europe est composée de différents acteurs (États, entreprises privées, organisations internationales…) qui jouent un rôle majeur dans les relations internationales. La série « L’Europe et le Monde », par Justin Horchler, étudiant à Sciences Po Bordeaux sur euradio cherche donc à éclairer l’auditeur sur certains aspects de la place du Vieux continent sur la scène internationale.
L'Azerbaïdjan située à presque 14 mille kilomètres de la Nouvelle Calédonie est accusé de favoriser l'instabilité et les mouvements indépendantistes dans la péninsule. Comment est-ce possible ?
Les liens culturels, politiques ou géographiques entre ce pays et la collectivité française semblent effectivement peu évidents. Et pourtant, l'Azerbaïdjan est bien une partie prenante dans la situation actuelle en Nouvelle Calédonie comme l'attestent des témoignages, des images, des preuves matérielles, etc.
Que se passe-t-il en Nouvelle Calédonie actuellement ?
Le gouvernement français a déposé un projet de loi constitutionnelle en janvier dernier pour faire évoluer le corps électoral gelé depuis 1998 en Nouvelle Calédonie. Autrement dit, les personnes qui vivent dans l'archipel depuis au moins dix ans pourront voter aux élections locales, ce qui n'est pas le cas actuellement. Cette réforme qui ne plaît pas aux forces indépendantistes et à une majorité de la population autochtone kanake a entraîné le blocage de la péninsule par des milliers d'individus.
Concrètement, de quelle manière l’Azerbaïdjan s'ingère en Nouvelle Calédonie ?
On voit différents signes d'ingérence azéri en Nouvelle Calédonie. Par exemple, certains drapeaux azéris ont été aperçus lors de rassemblements pro-indépendance. L'Azerbaïdjan finance des groupes indépendantistes et incite à des actions violentes. Le gouvernement azéri invite aussi régulièrement dans son pays des cadres des différents groupes indépendantistes français et a même créé une structure, le “Groupe d’initiative de Bakou”, pour coordonner les indépendantistes de Corse, de Guyane, de Guadeloupe, etc, et bien sûr de Nouvelle Calédonie. Le mot d'ordre : en finir avec la soi-disant "politique colonialiste française". Des fausses informations sur les autorités françaises en Nouvelle Calédonie ont été relayées massivement dans l'archipel par des comptes ayant des liens avec l'Azerbaïdjan, et incitant à commettre des actions violentes. Bref, les signes d'ingérence sont nombreux et peuvent facilement être démontrés.
Quel est l'intérêt de l'Azerbaïdjan ?
Le gouvernement autoritaire de Aliyev réagit au soutien fort de la France pour l'Arménie. Si vous vous souvenez de notre toute première chronique, les forces azéris avaient lancé une offensive militaire dans la région du Haut-Karabakh, une région de culture arménienne et souhaitant son indépendance. En réaction, la France s'est mobilisée pour soutenir l'Arménie dans sa défense de la région envahie et a accusé l'Azerbaïdjan d'être une dictature colonisant la région et commettant des crimes internationaux. L'Azerbaïdjan envoie donc un message à la France : si vous vous immiscez dans mes affaires en soutenant l'indépendance de certains de mes territoires, je vais faire de même chez vous. L'Azerbaïdjan cherche aussi à proposer un scénario alternatif dans lequel il défend les luttes anticoloniales et les droits de l'homme contrairement à la France.
D'autres États sont-ils également victimes de l'ingérence Azéri ?
Oui, prenons l'exemple de l'Allemagne. En 2013, le gouvernement allemand avait condamné des atteintes à la liberté religieuse en Azerbaïdjan. Pendant plusieurs années suivant cette critique, l'Allemagne avait fait l'objet d'ingérence soutenue par le gouvernement azéri, avec certaines méthodes qui sont similaires à celles adoptées contre la France actuellement.
Mais l'Azerbaïdjan est-il le seul pays à s'intéresser et à s'immiscer dans la situation en Nouvelle Calédonie ?
Non, la Chine et la Russie entre autres observent de très près la situation. Ces États le font soit car ils ont des intérêts dans la région, soit afin de déstabiliser la France pour une raison ou une autre. La Chine s'intéresse par exemple à la production de Nickel et souhaite consolider sa présence dans la région indo-pacifique. Quant à la Russie, elle voit les tensions en Nouvelle Calédonie comme une opportunité d'affaiblir la France. La Russie s'attaque déjà à la France de manière plus ou moins directe dans la région du Sahel, pour défendre ses propres intérêts et se venger du soutien français à l'Ukraine. Les intérêts sont donc multiples et la Nouvelle Calédonie fait l'objet de convoitises.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.