L’Europe est composée de différents acteurs (États, entreprises privées, organisations internationales…) qui jouent un rôle majeur dans les relations internationales. La série « L’Europe et le Monde » sur euradio cherche à éclairer l’auditeur sur certains aspects de la place du Vieux continent sur la scène internationale.
Les terres rares sont devenues un enjeu géopolitique crucial. Pourquoi ?
Parce qu’elles sont indispensables à la technologie moderne. Les terres rares servent à fabriquer les aimants des voitures électriques, les éoliennes, les smartphones, les ordinateurs, et surtout, les équipements militaires. Sans elles, pas de transition écologique, pas d’intelligence artificielle, pas de défense moderne. Et aujourd’hui, la Chine contrôle plus de 80 % de leur production mondiale.
Donc, l’Europe dépend presque entièrement de la Chine ?
Exactement. L’Union européenne importe 90% de ses terres rares de Chine. Et Pékin vient d’aller encore plus loin : depuis le 9 octobre, elle impose des contrôles non seulement sur les exportations, mais aussi sur les produits fabriqués à l’étranger qui contiennent des terres rares d’origine chinoise. Autrement dit, même si un composant est assemblé en Allemagne ou en France, s’il contient un peu de terres rares venant de Chine, il doit obtenir une autorisation chinoise avant de pouvoir être vendu.
C’est un moyen de pression énorme…
Oui, et c’est bien calculé. Pékin se sert de ce levier dans sa guerre commerciale avec les États-Unis. Mais les effets collatéraux touchent directement l’Europe. Car nos industries vertes et technologiques sont prises en étau. Si la Chine restreint les exportations, les chaînes de production européenne ralentissent, voire s’arrêtent. Stéphane Séjourné, commissaire européen chargé de l’industrie, a alerté sur l’urgence autour des aimants, en particulier. Ils sont indispensables à toute sorte de moteur, qu’il s’agisse de défense ou d’électronique. Or, l’Europe ne disposant que de cinq à quinze jours de stocks, il estime que « la Chine teste nos capacités de résistance, on est proche de la guerre hybride ».
Et du côté américain, la tension monte aussi…
Oui, Donald Trump a menacé d’imposer des taxes de 100 % sur les produits chinois. Résultat : les marchés ont plongé, et on redoute une nouvelle escalade. La Chine, elle, veut montrer qu’elle peut faire plier les grandes puissances grâce à son contrôle des ressources stratégiques. Mais l’Europe, elle, subit cette rivalité sans vraiment peser dans le rapport de force.
Et l’Europe a-t-elle conscience du danger ?
Oui, et elle essaie d’en sortir. Depuis quelques années, les textes européens ont fixé un objectif clair : extraire 10 % des terres rares sur le sol européen d’ici 2030, et recycler 25 %. Ursula von der Leyen pointe la nécessité de diversifier les sources pour ne pas dépendre d’un seul producteur. Elle a notamment évoqué l’Ukraine et l’Australie, le Canada, le Kazakhstan, le Chili ou encore le Groenland.
Est-ce que l’Europe a les moyens de rivaliser ?
Pas encore. Extraire et raffiner les terres rares coûte cher, c’est polluant, et il faut des années pour ouvrir une mine. La Chine, elle, a commencé il y a quarante ans et maîtrise toute la chaîne : extraction, raffinage, transformation. L’Europe n’a pas les infrastructures nécessaires. Donc, à court terme, l’Europe reste vulnérable.
Si Pékin ferme le robinet, on n’a pas de solution rapide. Et ce n’est pas seulement une question industrielle. C’est une question stratégique : notre transition verte et notre autonomie militaire dépendent de matériaux contrôlés par un pays tiers.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.
