Alice Collin est avocate au Barreau de Bruxelles, en droit public et européen. Après avoir étudié les sciences politique et le droit, elle s'est spécialisée en études européennes au Collège d'Europe à Bruges.
Plusieurs ONG européennes, dont Pesticide Action Network Europe, ont saisi la Cour de Justice de l’Union européenne pour contester la décision de la Commission européenne de prolonger jusqu’en 2033 l’autorisation du glyphosate. Un sujet qui soulève des questions complexes sur le rôle des institutions européennes face aux enjeux de santé publique. Pourquoi le glyphosate est-il si controversé ?
Le glyphosate est une substance active utilisée dans de nombreux herbicides, notamment ceux de l’agrochimie comme le Roundup. Sa controverse repose sur des risques sanitaires et environnementaux. En 2015, une agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) l’a classé comme « cancérogène probable ».
Parallèlement, les agences européennes, comme l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), ont jugé qu’il n’y avait pas assez de preuves pour interdire son usage. Cette divergence alimente les critiques sur les méthodes d’évaluation des risques et sur la priorité donnée, selon certains, aux intérêts économiques plutôt qu’à la santé publique.
Quelles sont les accusations portées par les ONG contre la Commission européenne ?
Les ONG accusent la Commission d’avoir violé des principes fondamentaux du droit européen, notamment le principe de précaution. Elles dénoncent le fait que des études scientifiques indépendantes, montrant un lien entre le glyphosate et des maladies graves comme le cancer, ont été écartées au profit de recherches financées par les industriels.
Elles critiquent aussi l’absence de prise en compte des effets cumulatifs du glyphosate avec d’autres substances chimiques et des formulations complètes utilisées sur le terrain. Pour PAN Europe, c’est une faille majeure dans l’évaluation des risques, qui devrait pourtant respecter des critères d’excellence, d’indépendance et de transparence, comme l’exige le droit européen.
Que peut faire la Cour de Justice de l’Union européenne dans ce dossier ?
La CJUE est compétente pour examiner si les décisions des institutions européennes respectent le droit de l’Union. Si elle constate que la Commission a violé des principes fondamentaux, comme le principe de précaution ou l’obligation d’une évaluation indépendante, elle pourrait annuler la prolongation de l’autorisation. Cependant, le processus judiciaire pourrait être long : PAN Europe anticipe une audience en 2026.
Que signifie cette affaire pour la gouvernance européenne ?
C’est une affaire emblématique des défis auxquels l’Union européenne est confrontée. Elle met en lumière les tensions entre science, politique et lobbying dans les décisions réglementaires. D’un côté, la Commission européenne doit s’appuyer sur les avis des agences scientifiques pour garantir la sécurité des produits. De l’autre, elle est confrontée à des critiques sur la transparence et l’influence des industriels.
Cette affaire est aussi un test pour le principe de précaution, inscrit dans les traités européens, qui exige d’agir pour protéger la santé publique même en cas d’incertitudes scientifiques. Enfin, elle montre que les ONG et la société civile jouent un rôle crucial pour questionner et, parfois, contester les décisions des institutions européennes.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.