Euan Walker est chargé de missions internationales à Mines Paris – PSL et assistant de recherche et d’enseignement à l’ESSEC. Diplômé en histoire et en sciences politiques de Durham University et de la Ruprecht-Karls Universität Heidelberg, il poursuit actuellement un master en économie et politique publique à l'ESCP. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.
Cette semaine, Euan Walker et Laurence Aubron discutent des relations entre l'Europe et la Chine à la lumière de la visite du premier ministre chinois Li Qiang en Allemagne et en France ayant commencé le lundi 19 juin.
Pour revenir à l’actualité européenne de la semaine, le Premier ministre chinois Li Qiang a entamé une visite en Allemagne et en France le lundi 19 juin…
En effet et avec cette nouvelle revient la même question : que faire avec la Chine ? La question hante les chancelleries européennes, prises entre les pressions américaines pour s’aligner sur l’hostilité de Washington et le réalisme des dirigeant·es européen·nes, soucieux de conserver leur autonomie stratégique.
Une chose est sûre : la tentative américaine, lors du sommet du G7 de mai dernier, de former une alliance antichinoise a connu un succès limité : la France, l’Allemagne et l’Italie, qui ont maintenu une position plus modérée.
Si les pays européens souhaitent s’affranchir de la stratégie géopolitique des États-Unis, quelle est la stratégie européenne préférée ?
La position de l’UE sur la Chine devrait refléter le récent discours d’Ursula von der Leyen sur le dérisquage, c’est-à-dire réduire les risques de sécurité sans mettre fin à l’interdépendance européo-chinoise. L’Europe passe d’une approche purement commerciale à une approche géopolitique, influencée par des facteurs récents tels que les politiques de Trump, la crise ukrainienne, la pandémie de COVID-19 et l’importance croissante de la Chine.
Cependant, l’Allemagne montre un certain malaise quant à la manière d’aborder sa relation avec la Chine. Les liens économiques forts entre la Chine et l’Allemagne, pierre angulaire de la « mondialisation heureuse » des années 2000, rendent le découplage risqué pour la balance commerciale allemande.
On parle souvent des tensions au sein du couple franco-allemand ces derniers-mois – la France et l’Allemagne sont-elles alignées sur la question de la Chine ?
La France et l’Allemagne sont relativement alignées mais pour des raisons différentes. L’Allemagne met l’accent sur les intérêts économiques, tandis que la France privilégie l’indépendance géopolitique vis-à-vis des États-Unis.
Le soutien croissant de la France à l’élargissement de l’UE à l’Est souligne l’importance des relations diplomatiques avec la Chine pour empêcher cette dernière de s’aligner sur la Russie. Ceci dit, si la Chine soutient la Russie dans le conflit, le sentiment européen pourrait se retourner contre la Chine.
Mais il doit sûrement y avoir d'autres enjeux dans les relations Europe-Chine que la guerre d'Ukraine ?
Absolument, hors les craintes économiques et militaires, des experts de l’Observatoire des médias numériques d’Europe centrale (CEDMO) ont récemment estimé que l’Europe devrait être plus prudente à l’égard de la Chine, surtout en termes d’atteintes à la démocratie.
Les expert·es craignent que l’influence sur les élections pourrait faire partie de la stratégie de la Chine. Aucune preuve, pour l’instant, que la Chine ait l’intention d’interférer dans les processus électoraux de l’UE, mais les institutions doivent rester vigilantes, a déclaré Ivana Karásková, chercheuse au CEDMO et conseillère spéciale de la commissaire européenne Věra Jourová.
Par quels moyens la Chine pourrait interférer dans les processus électoraux européens ?
Eh bien, Mme Jourová rappelle les tentatives actives de la Chine dans la région indo-pacifique pour acheter des votes en promouvant des candidats spécifiques ou en discréditant les critiques par des campagnes de désinformation. Les expert·es s’inquiètent également de voir l’Europe centrale et orientale devenir un laboratoire utile à la Chine pour explorer des moyens d’influence efficaces.
Au final, malgré la multiplication des rencontres diplomatiques entre l'Europe et la Chine, la question ne semble pas susceptible d'être résolue dans un avenir proche, même si elle constitue la question géopolitique déterminante des prochaines décennies.
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Entretien réalisé par Laurence Aubron.