Euan Walker est chargé de missions internationales à Mines Paris – PSL et assistant de recherche et d’enseignement à l’ESSEC. Diplômé en histoire et en sciences politiques de Durham University et de la Ruprecht-Karls Universität Heidelberg, il poursuit actuellement un master en économie et politique publique à l'ESCP. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.
Cette semaine, Euan Walker et Laurence Aubron discutent du vote du Parlement européen concernant le projet de loi sur l’intelligence artificielle, le AI Act.
Pour en revenir à l'actualité européenne de la semaine, le Parlement européen a récemment voté en faveur d'une plus grande régulation de l'intelligence artificielle...
En effet, le 11 mai, les commissions des libertés civiles et du marché intérieur du Parlement européen ont approuvé le AI Act. Ce texte cherche essentiellement à réglementer l'intelligence artificielle. Fortement ancré dans une méthode de réglementation fondée sur l'évaluation des risques, ce premier projet de loi discute notamment des pratiques qui menacent directement l’ordre démocratique. De plus, des exigences plus strictes sont proposées pour les modèles d'IA générative, c’est-à-dire les IAs capables de produire des images, de l’audio ou du texte, avec des obligations liées à la gestion des risques, à la gouvernance des données et à la transparence. La prochaine étape pour ce texte sera l'adoption en séance plénière, qui a été provisoirement fixée au 14 juin.
Quelle est donc la stratégie de l'Europe derrière ce texte ?
Le AI Act, dans sa forme actuelle, s'inscrit dans la continuité de la stratégie numérique de l'Europe, qui vise à établir un marché unifié du numérique basé sur les valeurs européennes par une approche d’atténuation des risques. Cette approche s'aligne sur la capacité de l'UE à établir des normes, illustrée par le RGPD. Ainsi, grâce à cette évaluation rigoureuse des risques gradués associés à l'IA, il existe un désir d'établir un marché numérique qui peut fonctionner de manière transparente et promouvoir la croissance sans entraver les droits des utilisateur·rices.
Cependant, l'IA ayant de telles implications économiques et géopolitiques, cet effort réglementaire est-il suffisant pour maîtriser ce sujet crucial ?
C'est là que réside la question. Si l'Union européenne possède indéniablement des capacités réglementaires dont les conséquences se répercutent à l'échelle internationale, l'accent mis sur l'éthique en matière d'IA peut en effet masquer une faiblesse intrinsèque à l'Europe, à savoir un manque d'investissement et de coopération stratégique entre les 27 de l'UE. Contrairement aux États-Unis, qui sont indéniablement à la pointe du développement sur les technologies de l'IA, l'UE manque de fonds d'investissement prêts à prendre les risques nécessaires au développement de technologies innovantes liées à l'IA. L’Europe serait ainsi reléguée à une position réglementaire plutôt qu'à un rôle de fer de lance dans le développement et la mise à profit de l'intelligence artificielle.
Mais, en raison de la nature rapidement évolutive de cette technologie, le AI Act et l'Union européenne sont-elles en mesure de réglementer de manière adéquate l'intelligence artificielle ?
Vous avez raison de souligner la nécessité d'un système de protection évolutif pour réglementer l'intelligence artificielle. Il est également vrai que la structure institutionnelle de l'Union européenne entraîne certains ralentissements dans la mise en place de cette réglementation, comme on peut s'y attendre dans une organisation qui regroupe 27 pays différents. Toutefois, le projet actuel du AI Act constitue une bonne base pour ancrer la réglementation de l'IA dans la protection des droits démocratiques et dispose des fondements nécessaires pour contrer les dérives associées à l'essor des IA génératives. En règle générale, il convient de faire preuve de pragmatisme dans la gestion des menaces actuelles liées à l'IA, tout en menant une réflexion prospective raisonnée sur ses développements. Sinon, le risque est de tomber dans une vision catastrophiste ou fantaisiste de ces technologies, ce qui nous arrêterait complètement. Il reste à voir si ce premier pas prometteur sera suivi par d'autres qui sécuriseront l'Europe face à l'IA, d’un point de vue économique et démocratique.
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