Artiste européen·ne de la semaine

The Daughters of Reykjavik (Reykjavik) - Artistes européennes de la semaine

The Daughters of Reykjavik (Reykjavik) - Artistes européennes de la semaine

Cette semaine, c’est une saga un peu spéciale : c’est la dernière que je signerais de ma plume avant de m’envoler pour de nouvelles aventures ! Alors profitons de ce dernier voyage... Qui nous emmène cette semaine au nord, mais un nord très au nord : direction l’Islande, l’île volcanique aux paysages enchantés ! C’est de sa capitale, Reykjavik, que viennent nos artistes européennes de la semaine -et c’est d’ailleurs d’après elle qu’elles se sont nommées ! Elles sont huit, ont entre vingt et trente ans, sont DJ, MC, mais aussi actrice, animatrice radio, danseuse, designeuse... Huit femmes d’horizons différents que l’amour du hip hop a réuni, que la sororité a lié et que le féminisme a pérennisé : let me introduce The Daughters of Reykjavik

Mais avant d’être un groupe, les Daughters ont été un collectif qui organisait les premières soirées rap de meuf en Islande en 2013. Le groupe de musique est né ensuite d’un quiproquo, et s’appelle alors Reykjavikurdætur... Je vous explique tout ça, c’est parti.


Chapitre 1 : Rappeuses en liberté 



L’histoire des Daughters débute en 2013 par les mains de Blær et Kolfinna. A ce moment-là, les deux amies traversent une mauvaise période : elles ont toutes les deux le cœur brisé, et oscillent entre chômage et travail précaire ; autant vous dire que c’était pas la joie. De leur temps libre et de leur besoin d’expression (Kolfinna dira plus tard : “j’avais besoin de quelques bad bitch pour me sortir de là”), naît l’envie d’organiser des soirées hip hop par et pour les femmes, dans le but je cite : “d’intimider les mâles dominant en puissance dans la  scène rap en disant ce qu’on veut, quand on veut, étant sexy, grossière, charmante et perceptive en même temps”. Leurs soirées font un succès immédiat, les lieux sont remplis et le duo s'agrandit. Le collectif devient groupe “accidentellement”, lorsqu’elles enregistrent dans la rue un clip pour faire la promo de leurs événements ; un journaliste les arrête, comment vous appelez-vous, quelqu’une répond que la chanson s’appelle "Reykjavikurdætur", “Diner à Reykjavik”, et zou, pour l’Islande, le lendemain, elles étaient le groupe Reykjavikurdaetur, des pionnières du hip hop. 


Le titre "Ógeðsleg", “déroutant” en français, est né de critiques reçus par des rappeurs : Ógeðsleg c’est alors sept minutes où les seize femmes du line up d’alors changent la donne : pour Salka, “soyons des femmes qui font ce qu’elles veulent”. 

Car malheureusement, cet événement n’est pas isolé : la scène hip hop islandaise étant alors exclusivement masculine et sexiste, se faire une place n’est pas aisée. L’engouement médiatique autour de leur groupe/collectif n’aide pas : au moment où les projecteurs se braquent sur elles, elles ne sont qu’amatrices, et n’ont pas eu encore le temps de grandir. Alors évidemment, les critiques s’en sont donné à cœur joie sur leur niveau et c’était pas beau à voir. 

Mais les Daughters ont tenu bon, se sont protégées et ont travaillé, progressé, tout en continuant de dénoncer : le titre "DRUSLA", “salope” en islandais, a été écrit pour la marche des salopes islandaises de 2014.



Chapitre 2 : J'ai toutes mes meufs à mes côtés, dis moi à qui tu veux t'attaquer ? 


Les Daughters of Reykjavik, c’est le groupe de nos artistes européennes de la semaine ! Le collectif islandais de hip-hop composé de Blazer, Disa, Steinunn, Sura, Ragga, Salka, Karitas et Steiney, huit rappeuses qui révolutionnent les codes de l’industrie pour promouvoir l’émancipation des minorités de genre. 

Hier, nous avons parlé de la création du groupe, à ce moment-là 16 personnes réunies sous le nom de Reykjavikurdætur, du collectif de soirées dont il est né en 2013, de l’engouement médiatique autour de leur style et du fait d’être des pionnières dans le rapgame islandais très masculin ; mais aussi des critiques reçues pour les exactes mêmes raisons.  Aujourd’hui, continuons à remonter leur histoire : les Reykjavik sortent leur premier album en 2016 : l’intitulé RVK DTR.  Et les textes qu’il aborde sont autant sur le féminisme, le bodyshaming, la culture du viol, la sexualité ou encore les soirées... On a du pain sur la planche !



 Le titre “HÆPIД, un des titres de l'album à l’ambiance la plus gangsta, ce qui a peut-être participé à en faire le tube qu’il a été en Islande ! Car cet album est efficace : les Daughters y abordent autant le dépassement des coeurs brisés que les droits des femmes, montrant que l’un n’est pas si éloigné de l’autre que ça, un peu à la façon des féministes de la seconde vague : le privé est politique. Et ce féminisme ne se retrouve pas que dans les textes du groupe : c’est également ce qui le constitue, le forme. Car au-delà de la revendication simple de l’égalité femmes-hommes, le féminisme, c’est aussi des connaissances scientifiques et des méthodes militantes et politique.

Reykjavik, c’est alors onze ans d’auto gestion, avec des albums financés par des plateformes de participation. Le Média Loud And Quiet a ainsi assisté à une des réunions hebdomadaires des Daughters : dans le salon de l’une, on parle des projets, on gère les problèmes, on partage son expérience. Et cette semaine-ci, la thématique principale, c’est la maternité : avec à ce moment-là deux rappeuses mamans et une enceinte, comment se soutenir avec la présence d’enfant ? Les Daughters sont sans appel : ces enfants sont de la responsabilité de toutes, c’est un enjeu collectif. 



Sur le titre "Hafleygt ordalag", on retrouve des sonorités r’n’b old vibe ! Les Daughters aiguisent leur flow en islandais (un peu en anglais) et ça marche : elles sont invitées par la BBC, le Guardian et le magazine Rolling Stone, et elles se font programmer dans toute l’Europe ! 

A partir de cette visibilité, elles continuent d’appeler à la féminisation de la scène rap, ouvrent la voie et créent des représentations nouvelles, dans le milieu de la musique et plus largement. Sur leurs réseaux, elles se montrent dans leur vie quotidienne, avec leurs enfants, ou en lendemain de soirées, peinture nature, rejouant les frontières de l’apparat. 

Le titre "Tista", lui, parle de drague et de sexualité.



Chapitre 3 : Je ne veux pas du minimum, je le liquide liquide, je le liquide liquide 


Direction l’Islande où nous retrouvons nos artistes européennes de la semaine, et cette semaine, elles sont huit, font du rap et forment depuis 2013 les Daughters of Reykjavik ! Pas totalement, puisque le line up a un peu changé depuis. Mais, plus qu’un groupe de hip hop, les Daughters sont aussi une bande de copines, qui s’organisent et changent les lignes, un espace de sororité pour revendiquer l’égalité, en actes et en paroles. Hier nous avons écouté leur premier album sorti en 2016, aujourd’hui je vous propose leur deuxième sorti en 2018, l’album Shrimpcocktail, comprenez cocktail de crevettes, car l’heure est à la fête, mais pas que, ça dénonce ! Un cocktail réparti en huit titres écrits en groupe, en duo, ou en trio (car ça demande un peu d’organisation la vie de famille nombreuse) ; et en deux ans, les Daughters ont aiguisé leur style, on écoute. 



 Le titre “Kalla mig hvao”, “comment tu m’as appelé?” en anglais, est un titre dans lequel les Daughters posent le cadre : “tu connais le jeu, c’est moi qui écrit les règles, merci d’être passé mais ce soir c’est juste moi et les filles”. Le mojo : la non mixité choisie, et le plaisir de la sororité ! 

Sur ce deuxième album, les Daughters continuent d’honorer leur mission de lutte contre le patriarcat et les valeurs conservatrices avec leur vitalité bien à elles : l’énergie des prod met en avant l’esprit et l’humour des paroles. Les textes sont impétueux, un peu décalés, et surtout sans contrefaçon : montrant toute la détermination des Daughters à produire une musique selon ses propres termes uniquement. Et changer la narration, rien de plus politique ! 



Le titre “Hvao er malio”, “quel est le problème ?”, est un titre dans lequel les Daughters montrent qu’elles savent aussi s’amuser. Clip ambiance soirée entre go, manucure, limousine, carré vip ; un classique club vieille école que le média NME décrit comme “brillamment crasseux”.

Cet album voit aussi l’arrivée d’une nouvelle membre : la rappeuse islandaise Ragga Holm ; Ragga qui suivait de pas trop loin les Daughters depuis leur début, mais qui avouera n’avoir eu le courage de demander un feat qu’en 2017 et depuis, elles ne se sont plus quittées ! Ce feat donne “reppa Heimmin”, en français “représenter le monde”, car n’en déplaise aux rageux, elles aussi, représentent la scène rap, et c’est compliqué pour certains de voir des femmes parler aussi cru que des hommes. Mais sans aucun doute, ça marche : l’année suivant, les Daughter remportent le prix MME d’Eurosonic aux côtés de Rosalia et Bishop Briggs, c’était la fiesta loca. 



Chapitre 4 : Génération nan nan


Cette semaine, c’est planète rap dans l’Artiste européenne de la semaine : nous suivons les Daughters of Reykjavik ! Un groupe mouvant de rappeuses islandaises qui depuis 2013, féminisent la scène hip hop, ouvrent la voie et dénoncent en punchline le patriarcat. 

 Hier, nous avons écouté leur album de 2018,Shrimpcocktail, Cocktail aux crevettes, aujourd’hui je vous propose leur album de 2020 Soft Spot, l’album qui marque le changement de line up tel qu’on le connaît aujourd’hui, j’ai cité Blaer, Disa, Steinunn, Sura, Ragga, Salka, Karitas et Steiney

Soft Spot, en français “point faible”, montre au contraire tous les points forts du groupe, et leur évolution depuis leurs débuts d’amatrices. Lorsque leurs précédents albums étaient davantage une addition des titres produites en collectif, ou à deux/trois, Soft Spot est le premier qu’elles ont écrit comme un projet à part entière, en groupe, lors d’une retraite à la campagne. Une expérience qui les a soudée, les a rapprochée, et qui s’entend sur les dix titres fait maison de l’album, ne dérogeant pas à leur tradition autonomiste. Accrochez vous, on y passe du doux sucré du désir au feu sauvage de la vengeance en moins d’une minute.



Dans le titre “Sweet”, les islandaises abordent la sexualité : “son titre provisoire était littéralement The Sexy Song” confie Steinunn dans une interview. Il met en avant 4 rappeuses du groupe, chacune avec une histoire différente, mais toutes en rôle d’initiatrice. Car la lutte pour l’égalité passe par la sphère du désir, l’intime qui catalyse aussi les rapports de domination de genre ! 

Pour cet album, les Daughters ont accompagné chaque titre d’un podcast dans lequel elles approfondissent le sujet du morceau avec des invités de la scène musicale. Par exemple, le podcast qui accompagne le morceau “ A Song to Kill Boys To”, approfondit la question de la violence aux côtés des 3 musiciennes du groupe de punk islandais GROA.




Dans Soft Spot, vous l’avez entendu, on retrouve le flow sanguinaire des Daughters : pour être prise au sérieux dans le milieu hip hop en tant que femmes, mieux vaut coller à une certaine énergie masculine, et y aller par la force ! Et sans renier cette énergie qui les caractérise aussi, Soft Spot, c’est aussi le premier album dans lequel les Daughters se sont autorisées à être plus douce, plus girly, avec des influences r’n’b proche des Destiny Child & Spice Girl ; après avoir fait leur place, les Daughters s’autorisent à naviguer ajd vers les eaux qui les enchantent. Je vous propose que l’on se quitte avec le titre "DTR" qui met en avant cette douceur : il aborde leur groupe, leur sororité, leur refuge, c’est empouvoirant !



Chapitre 5 : On ira toutes au paradis


Et aujourd’hui, nous retrouvons une dernière fois les Daughter of Reykjavik pour notre saga sur nos rappeuses islandaises préférées ! Depuis lundi, nous remontons leur route, de 2013, leur naissance en tant que collectif de soirée hip hop au féminin, à la création accidentelle de leur groupe les mois suivants, jusqu’à la sortie de leurs 3 albums ! Une route féministe et radicale qui invite le milieu rap à repenser ses dynamiques sexistes. Au delà du milieu rap, les Daughters se mobilisent sur toutes les sphères : écoutez leur mobilisation de 2022 en soutien aux femmes iraniennes.

Pour ce dernier épisode, je vous propose que l’on s’intéresse aux dernières sorties du groupe ! Nous avons quelques pépites dans notre panier.



Sur le titre “Thirsty Hoe”, “salope assoiffée” en français, les 9 voix du groupe invitent les femmes à faire ce qu’elles veulent sur des paroles catchy d'égo trip. “Thirsty Hoe” joue non seulement comme un retournement du stigmate, mais aussi comme une revendication : faire bouger les lignes pour une rappeuse, ça passe aussi par se soustraire aux exigences de perfection et s’autoriser à rapper avec légèreté, sans ayant à prouver, comme finalement, les hommes le font en tout tranquilité.

Mais les Daughter restent les reines de la punch : dans le titre "Turn This Around" sorti en 2023, elles déclament une de mes lines préférées : “Si Karl Marx était vivant, ce serait mon boyfriend, on mangerait des riches au petit déjeuner, et je n’en prendrais aucune responsabilité, exactement comme mon agresseur”. C’est “Turn This Around”, sans concession.



Nous arrivons à la fin de notre saga sur les Daughters of Reykjavik, qui marque aussi ma dernière artiste européenne de la semaine : il est temps pour moi de m’envoler vers de nouvelles aventures ! 

Et quelle autre meilleure façon de terminer en beauté que de finir avec nos islandaises de la semaine au rap qui uppercut, au féminisme en actes comme en paroles.   

Merci à elles, pour leur travail, leur engagement, et leurs titres qui sans aucun doute, seront dans ma playlist, et merci à vous, pour ces mois de voyage musical à vos côtés ! 

Pour notre dernier titre EVER, je vous propose leur morceau de 2022 “HOT MILF SUMMER” , “l’été de la mère sexy”, balançant à la poubelle le phénomène de réduction d’une femme à son statut de mère, selon la triade “la vierge, la pute, la madone”. Je vous invite à aller voir le clip, les daughters y brouillent les frontières de cette triade, entre tenues sexy, tire-lait, et un imaginaire blanc, pur.  Bon week-end à elles, bon week-end à vous, et je vous dis à bientôt, sur d’autres routes !



Une émission proposée par Hannah Tesson <3