La guerre des étoiles

La paralysie budgétaire aux États-Unis

© RAS La paralysie budgétaire aux États-Unis
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Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.

On se retrouve aujourd’hui pour regarder la situation outre-Atlantique et comment elle impacte le secteur spatial. L’administration Trump multiplie les annonces en fanfare, les voltes-face ; mais depuis début octobre les services publics aux Etats-Unis sont partiellement fermés faute d’un accord définitif sur le budget au Congrès américain.

Effectivement, c’est ce que les anglophones appellent le “government shutdown”, l’extinction des services publics déjà malmenés depuis le début de la seconde administration Trump. Et malgré quelques exceptions à la légalité douteuse, notamment le fait que Trump ait détourné des fonds pour rémunérer les soldats mobilisés sur le territoire américain pour terroriser les habitants de Los Angeles, Washington et Chicago –n’y voyez qu’une coïncidence si ces villes votent Démocrate, bien sûr– les agences fédérales sont bloquées, et la NASA n’est pas épargnée.

Dans de précédents épisodes, vous nous disiez que le budget de la NASA avait été revu à la hausse au Congrès, mais que les missions scientifiques souffraient de remaniements. Est-ce que toutes les missions sont maintenant en péril ?

Absolument. Déjà, les fonctionnaires sont au chômage partiel, comme les fonds sont bloqués faute d’appropriation du Congrès –qui a valeur de loi aux Etats-Unis– les sommes engagées auprès de fournisseurs, de sous-traitants, des personnels ne peuvent pas être déboursées. Et bien sûr tous les nouveaux programmes sont à l’arrêt, en plus des programmes en cours qui tournent à régime minimal –voire sont interrompus, faute d’opérateurs et de personnel pour traiter les données transmises par les instruments en fonctionnement. Outre une catastrophe scientifique qui va se répercuter sur les générations à venir, c’est une catastrophe économique pour des secteurs industriels entiers.

Est-il possible de chiffrer les dégâts ?

A l’échelle macroéconomique, les estimations sont d’une perte moyenne hebdomadaire de 10 milliards de dollars pour le pays. Pour l’impact spécifique sur le secteur spatial, des activités se poursuivent car elles bénéficient d’exceptions en vertu de leur caractère nécessaire : les navettes pour l’ISS par exemple, la NASA ne va pas laisser les astronautes en orbite mourir de faim, même si l’administration Trump laisse les enfants dans les écoles sans repas quotidien. Le programme Artémis n’est pas interrompu non plus, parce que le budget a déjà été approprié, du moins pour les premières phases dans lesquelles il se trouve et donc les contrats peuvent être honorés. Après, on parle de fonctionnaires qui sont mobilisés pour continuer à travailler dans des fonctions essentielles sans être rémunérés ! C’est donc du temporaire qui ne peut pas durer.

Donc même sans parler de la perte de pouvoir d’achat de milliers de fonctionnaires américains qui se répercute sur l’économie américaine, les dégâts se font aussi sentir dans le secteur spatial privé.

Bien sûr, surtout que c’est un secteur qui dépend énormément des contrats gouvernementaux. Rien que sur Artémis, ce n’est pas parce que le programme est maintenu que Space X continuera d’être un sous-traitant du lanceur. Et Space X a pris du retard, et au vu du contexte ils n’auront pas de rallonge, ils devront poursuivre certains développements à leurs frais.

Et ce n’est pas juste une question d’argent à court terme : par exemple, le Golden Dome, qui relève d’une politique spatiale et militaire, a 25 milliards de dollars appropriés, les entreprises ayant remporté les appels d’offre pourraient techniquement commencer à travailler et recevoir les fonds. Mais comme les effectifs du Département de la Défense –ou de la Guerre, puisqu’il a été renommé– sont réduits au minimum en période de fermeture, les cahiers des charges n'ont pas été établis ni transmis aux sous-traitants.

Donc on parle d’un programme de défense crucial pour les Etats-Unis et ses alliés de l’OTAN qui est de facto à l’arrêt aussi, et qui subira probablement les répercussions budgétaires à la réouverture des services publics.

Comment ça, puisque les fonds ont été appropriés ?

Ils ont été appropriés, mais les Etats-Unis perdent des sommes monstrueuses chaque jour avec ce blocage, ont déjà une dette pharaonique à rembourser, et les programmes spatiaux et militaires sont typiquement des programmes de très long terme car ils prennent jusqu’à des décennies pour être menés à terme ; or vu l’austérité budgétaire qui va devoir être appliquée pour payer les intérêts de la dette américaine, ce sont des programmes qui ne verront peut-être jamais le jour, surtout dans la mesure où leurs retombées économique positives seraient elles aussi sur du long terme.

A quoi faut-il s’attendre à l’avenir, alors ?

Le Golden Dome représente un enjeu sécuritaire, l’administration Trump ne l’arrêtera pas, mais l’administration suivante se tournera potentiellement vers des solutions plus diplomatiques et moins coûteuses. Sur Artémis, les communications récentes ont tellement soufflé le chaud et le froid qu’il est vraiment dur d’être optimiste.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.