Dans sa dernière revue, Confrontations Europe donne la parole à Bahadır Kaleağası, Président de l’Institut du Bosphore à Paris, qui s’intéresse à la relation entre la Turquie et l’Europe, son importance géopolitique dans le contexte actuel, le futur de cette relation et les bénéfices que pourraient en tirer les deux partenaires.
Quelle est l'importance des relations entre l'Union européenne et la Turquie dans le contexte géopolitique actuel ?
Les relations entre l'Union européenne et la Turquie sont d'une importance stratégique croissante, en particulier dans un monde où les dynamiques géopolitiques évoluent rapidement. La Turquie, en tant que pays clé reliant l'Europe et l'Asie, possède un potentiel significatif pour aider l'UE à renforcer sa sécurité, notamment face à des menaces communes telles que le terrorisme et les crises migratoires. En renforçant la coopération avec la Turquie, l'Union pourrait également améliorer sa compétitivité économique en accédant à de nouveaux marchés et en exploitant les ressources énergétiques de la région. Toutefois, cette relation est compliquée par des défis internes et externes, tels que les tensions sur les droits de l'Homme, les divergences politiques, et les conflits régionaux, notamment ceux concernant Chypre et la Syrie.
Comment le contexte géopolitique mondial influence-t-il les relations entre l'Union et la Turquie ?
Le paysage géopolitique mondial est caractérisé par une rivalité croissante entre les grandes puissances, en particulier les États-Unis et la Chine, ainsi que par l'émergence de pays comme l'Inde et d'autres acteurs régionaux. Dans ce cadre, la Turquie occupe une position stratégique, car elle est située à la croisée des chemins entre l'Europe, l'Asie, et le Moyen-Orient. Son rôle peut être déterminant pour l'UE, qui cherche à diversifier ses partenariats et à renforcer sa résilience face aux incertitudes géopolitiques. La Turquie pourrait devenir un acteur clé dans les initiatives européennes de sécurité et de défense, notamment à travers des collaborations sur des enjeux comme la lutte contre le terrorisme et la gestion des migrations. Par conséquent, un rapprochement entre l'Union et la Turquie pourrait permettre à l'Europe de jouer un rôle plus influent dans les affaires internationales tout en renforçant la stabilité régionale.
Quels sont les défis politiques et économiques entre l'Union et la Turquie ?
Les relations entre l'Union et la Turquie sont complexifiées par plusieurs défis, tant politiques qu'économiques. Sur le plan politique, la Turquie est souvent critiquée pour son recul démocratique, notamment en ce qui concerne la liberté d'expression, l'indépendance de la justice et les droits de l'Homme. Ces questions sont devenues des obstacles majeurs à l'adhésion de la Turquie à l'Union, entraînant un gel des négociations d'adhésion. Sur le plan économique, bien que la Turquie soit un partenaire commercial important pour l'Union, les discussions sur la modernisation de l'union douanière n'ont pas encore abouti. L'intégration économique pourrait favoriser des échanges commerciaux plus fluides et des investissements, mais cela nécessite des réformes en Turquie pour aligner ses pratiques sur celles de l'Union. Les préoccupations économiques liées à l'inflation, à la gestion des flux migratoires et aux tensions régionales (notamment en Syrie) compliquent encore les relations, rendant une coopération étroite difficile à établir.
Quel rôle pourrait jouer l'intégration différenciée dans les relations futures entre l'Union et la Turquie ?
L'intégration différenciée pourrait constituer une voie pragmatique pour améliorer les relations entre l'Union et la Turquie sans nécessiter une adhésion complète de cette dernière. Cette approche permettrait à la Turquie de s'engager dans des domaines spécifiques de la coopération européenne, tels que le marché unique numérique, la transition énergétique et la sécurité, tout en continuant à mener ses propres réformes internes. En participant à certaines initiatives européennes, la Turquie pourrait bénéficier de l'accès à des financements et des programmes de coopération, renforçant ainsi son développement économique et social. C’est déjà le cas pour le programme Erasmus + par exemple. Parallèlement, cela offrirait à l'Union l'occasion de consolider une relation constructive avec un partenaire stratégique, tout en maintenant une certaine pression sur Ankara pour qu'il améliore ses normes en matière de démocratie et de droits humains. Une telle relation pourrait également permettre d'atténuer les tensions dans des domaines comme la gestion des migrations et la coopération en matière de sécurité, ce qui profiterait aux deux parties.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.