Toutes les semaines, la chronique « L’Europe, le monde, la paix » donne la voix sur euradio à l’un·e des membres du collectif de chercheur·ses réuni·es dans UNIPAIX, le Centre d’Excellence Jean Monnet basé à Nantes Université.
Ravie de vous retrouver sur notre antenne. Vous êtes professeur d’histoire contemporaine à Nantes Université et directeur du Centre d’Excellence UniPaix qui est à l’origine de cette chronique. Justement, le Parlement européen qu’on s’apprête à réélire, a-t-il été un instrument de la paix ?
On sait bien que la construction européenne, qui débute aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale et au début de la Guerre froide, est fondée sur l’objectif de maintenir la paix sur le continent, et notamment entre la France et l’Allemagne.
Cette paix est conditionnée à la sortie du totalitarisme et de la crise économique : avec l’aide des Etats-Unis, les Européens doivent trouver la paix par la prospérité économique, la démocratie libérale et la défense des droits de l’homme.
Et les premières organisations européennes, le Conseil de l’Europe créé en 1949 et la Communauté économique du charbon et de l’Acier en 1951, cherchent à associer les peuples en créant des assemblées qui réunissent des parlementaires des Etats membres.
Mais il n’est pas encore question d’un vrai parlement européen.
Non, mais la première réunion à Strasbourg de l’Assemblée du Conseil de l’Europe le 10 août 1949 fait la Une de toute la presse européenne !
Huit ans plus tard, le traité de Rome décide que les Communautés n’auront qu’une seule Assemblée parlementaire européenne, dont Robert Schuman est le premier Président en 1958. Cette assemblée se proclame « Parlement européen » le 30 mars 1962 et se veut dès l’origine le gardien de la démocratie européenne. Très symboliquement, les membres de l’Assemblée se réunissent par groupes politiques transnationaux.
Cependant, l’élection directe du parlement européen au suffrage universel n’arrive qu’en 1979. Peut-on dire qu’elle est la naissance d’une véritable démocratie européenne ?
Ce qui est sûr, c’est que c’est une naissance difficile. Le Traité de Rome prévoyait vaguement l’élection de l’Assemblée au suffrage universel « à terme », mais la France, méfiante sur la création d’une institution supranationale forte, obtient qu’aucune date ne soit fixée.
Il faut attendre décembre 1974 pour que le nouveau président français Valéry Giscard d’Estaing, avec le chancelier Helmut Schmidt, également nouveau dans sa fonction, proposent d’élire le Parlement européen au suffrage universel pour créer une Europe des citoyens, moins technique, plus démocratique. Il s’agit de légitimer l’unification européenne et renforcer le sentiment d’appartenance des peuples à l’heure de l’élargissement de six à neuf pays membres.
Finalement, l’Acte institutionnel du 20 septembre 1976 prévoit simplement 9 élections nationales, sans augmentation des pouvoirs de ce Parlement.
Malgré ces limites, les premières élections européennes de juin 1979 restent un grand moment pour la démocratie européenne, et soulèvent beaucoup d’espoir avec une forte participation des électeurs. Simone Veil, tête de liste victorieuse en France, est élue Présidente du Parlement européen. Depuis, les parlementaires ne vont plus cesser de réclamer plus de pouvoirs et plus de démocratie pour la Communauté.
Le Parlement européen est-il devenu depuis une institution essentielle de l’Union européenne ?
Oui, le traité de Maastricht de février 1992 a non seulement créé la citoyenneté européenne mais aussi renforcé les pouvoirs du Parlement européen, qui devient colégislateur avec le Conseil. Les parlementaires auditionnent désormais les futurs commissaires européens désignés par les Etats et peuvent voter une motion de censure de la Commission à la majorité des 2/3. Indiscutablement, les différentes réformes de l’UE ont considérablement accru les pouvoirs du Parlement.
Et pourtant, la participation aux élections européennes est en baisse constante ente 1984 et 2014 !
C’est vrai : les Européens continuent à se sentir éloignés de Bruxelles et de Strasbourg, et votent dans un scrutin nationalisé où l’on parle finalement peu d’Europe.
Le système politique européen, sans véritable gouvernement et sans majorité et opposition tranchée, sans espace public et médiatique européen – à part votre antenne, bien entendu ! – ne facilite pas la compréhension des enjeux malgré un système qui appelle au compromis.
Les citoyens ont le sentiment que ces élections restent secondaires, sans véritable impact sur un système qui reste principalement entre les mains des Etats membres.
C’est paradoxal : au moment où la démocratie et la paix européennes ont le plus besoin d’être défendues par une institution forte, la démocratie représentative s’essouffle partout, dans les Etats-membres comme dans l’Union. Le Parlement qui se dessine à l’issue du scrutin de 2024 aura sûrement plus de difficulté à bâtir des majorités, et risque ainsi de fragiliser encore un peu plus une démocratie européenne déjà affaiblie.
Merci Michel Catala, pour cette mise en perspective historique. Je rappelle que vous êtes professeur d’histoire contemporaine à Nantes Université.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron