Comme chaque semaine, nous retrouvons Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales chez Think Tank Synopia, le laboratoire des gouvernances.
Aujourd’hui s’ouvre l’évènement La Fabrique Défense à la Grande Halle de la Villette à Paris, jusqu’à dimanche. Alors c’est un évènement organisé par le ministère des Armées qui s’adresse en priorité à la jeunesse pour les familiariser avec un thème au centre de la PFUE : la Défense européenne.
Ce n’est pas un thème nouveau en Europe ?
Non en effet et on se souvient tous de nos cours d’histoire sur la construction de l’UE et de l’épisode célèbre de l’échec de la CED – la communauté européenne de défense qui est esquissée dès 1950 avec l’ambition de créer une véritable armée européenne. Ce qui est assez incroyable, c’est qu’à l’époque, ce projet a vraiment failli voir le jour, à l’initiative de la France d’ailleurs. Mais bon, entre le moment où le projet est mis sur la table par la France, et le moment où il doit voir le jour, 4 ans plus tard, le contexte international a changé et l’idée d’une défense européenne apparait alors superflue, ce qui fait que les parlementaires français vont rejeter le texte en 54.
Et depuis, il n’y a eu aucunes nouvelles avancées en matière de défense commune ?
Alors rien de l’envergure de ce qui était prévu par la CED, mais tout de même, il y a eu de nombreuses avancées. Entre autres, la politique de sécurité et de défense commune, introduite par le traité de Lisbonne, la création d’un état-major de l’Union européenne, ou encore la création de l’AED – l’agence européenne de défense – qui favorise le développement de l’industrie européenne de l’armement. L’Europe de la défense, et bien c’est aussi des opérations de maintien de la paix et des exercices militaires conjoints qui ont lieu régulièrement.
Donc l’Europe de la défense, aujourd’hui, c’est déjà quelque chose de tangible ?
Oui, et lorsque le Président Français présente la réalisation de la « Boussole stratégique » comme étant l’un des objectifs majeurs de la PFUE, et bien il veut pousser plus encore les efforts vers une véritable défense européenne.
Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur cette boussole stratégique ?
Alors la boussole stratégique c’est un projet porté par le haut représentant aux Relations extérieures de l’UE, Josep Borrell. En gros, l’objectif c’est de définir à 27 une doctrine de défense européenne. Et ce travail est divisé en deux temps :
- D’abord, identifier les principales menaces et les points faibles de l’UE.
- Et ensuite, définir des objectifs stratégiques concrets, des priorités, et bien sur les besoins en termes de capacités des États européens pour réaliser ces objectifs.
Finalement, c’est Emmanuel Macron qui résume le mieux ce projet puisqu’il parle de la création d’un livre blanc européen de défense et de sécurité.
On peut donc imaginer qu’avec ce livre blanc, les États européens réussiront à mettre sur pied une véritable défense européenne ?
Alors oui et non. Déjà, il va falloir que les États membres se mettent d’accord sur une hiérarchisation des menaces et donc sur l’identification de priorités. Et déjà là, ce n’est pas si évident : par exemple, pour les États baltes et d’Europe centrale notamment, la menace prioritaire, c’est la menace russe ; tandis que pour la France et les états du sud de l’Europe, la menace principale se situe plutôt en méditerranée. Le risque, c’est que le livre blanc qui sortira, ne définira pas de priorités claires pour ne pas froisser tel ou tel État. Par exemple, la menace turque sera difficile à traiter puisque les Allemands, du fait de leur relation avec la Turquie, pourront difficilement s’accorder avec la Grèce et Chypre quant au degré de menace qu’elle représente.
Ensuite, et bien la deuxième étape de la Boussole stratégique ne va pas être beaucoup plus évidente.
Premièrement, parce qu’il va falloir poser en face de chaque défi les moyens humains, matériels et financiers nécessaires à leur réalisation. Et si on veut aller plus loin et être véritablement efficaces, il n’y a pas 36 solutions : il va bien falloir que les États acceptent d’augmenter leurs dépenses et les budgets alloués à la Défense. Or, aujourd’hui, on constate que la plupart des États membres y consacrent moins de 2 % de leur PIB.
Et deuxièmement, parce qu’il va surtout falloir, là encore si on veut être efficace, s’entendre sur les investissements à effectuer en commun. Aujourd’hui, on constate que les États européens achètent du matériel militaire différent, sans se coordonner, ce qui rend très compliqué ce qu’on appelle l’interopérabilité des forces armées et ce qui nuit aussi au développement des industries européennes de l’armement puisque ca les met en concurrence avec d’autres, notamment l’industrie américaine.
Est-ce qu’en raison de tous les obstacles que vous soulevez, on peut dire que l’avenir d’une Europe de la défense est compromis ?
Alors l’Europe de la Défense n’a pas dit son dernier mot, mais le plus gros travail qu’il lui reste, c’est celui de convaincre 27 États, qui ont chacun leur histoire et un rapport particulier aux questions de défense et de sécurité. Il est donc très probable que l’Europe de la Défense s’organise, comme c’est déjà le cas, d’abord et de manière concrète entre quelques États volontaires et qui partagent les mêmes priorités.
Photo geralt via Pixabay
Joséphine Staron au micro de Laurence Aubron