Comme chaque semaine, nous retrouvons Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales chez Think Tank Synopia, le laboratoire des gouvernances, pour sa carte blanche de la Présidence française de l'Union européenne.
Aujourd’hui vous souhaitez nous parler d’un thème de la campagne des élections législatives qui a été soulevé par Jean-Luc Mélenchon : celui de la désobéissance à l’Union européenne.
Oui, c’est un sujet qui a beaucoup fait débat ces derniers temps. Pour faire campagne, l’extrême gauche brandie la carte de la désobéissance qui serait, selon elle, légitime pour défendre les intérêts nationaux dans le cadre de l’Union européenne. Alors avant de rentrer dans le détail des revendications des partisans de la désobéissance, faisons un petit rappel de ce que signifie ce concept. On peut le faire remonter au concept de désobéissance civile développé notamment par Etienne de la Boétie dans son ouvrage intitulé « Discours de la servitude volontaire » : il y défend le droit inaliénable des peuples de s’opposer à un gouvernement jugé illégitime, non pas par la force ou la violence, mais par le refus de se plier aux règles. Dans l’histoire, on compte de nombreuses personnalités qui ont pris à leur compte ce concept de la désobéissance civile, c’est-à-dire non violente : Martin Luther King, Nelson Mandela ou encore Ghandi.
Qu’est-ce qui pourrait justifier la désobéissance civile ?
Toute action d’un État jugée contraire aux intérêts de la Nation ou aux grands principes de la morale. Par exemple, le philosophe américain Henry David Thoreau, à la fin du 19ème siècle, estimait nécessaire de désobéir en refusant de payer l'impôt destiné à financer la guerre contre le Mexique en vue de l'annexion du Texas. Autre exemple, cette fois appliquée au cadre militaire : en France, du moins, lorsqu’un ordre contraire au droit de la guerre est donné, les soldats ont non seulement le droit de désobéir, mais ils en ont aussi le devoir. Le concept de désobéissance civile s’inscrit dans une distinction fondamentale entre le légal (ce qui est prévu par la loi) et le légitime. La difficulté c’est que la légitimité est souvent plus subjective que la légalité.
Pourquoi aujourd’hui ce concept refait-il soudainement surface ?
Parce que les partis politiques qui se servent de l’Union européenne comme bouc émissaire avaient besoin de changer un peu leur discours. Dans le cadre de la campagne présidentielle, on a vu des partis d’extrême gauche et d’extrême droite se « radoucir » sur leurs positions vis-à-vis de l’UE : il n’était plus tout à fait question d’un Frexit car il fallait convaincre une partie de la population moins radicale que leurs électeurs initiaux ; et donc pour y parvenir, ils se sont réappropriés le concept de désobéissance civile, jugé moins extrême et plus compréhensible pour le plus grand nombre.
Jean-Luc Mélenchon est le premier à en avoir parler. Concrètement, à quoi veut-il désobéir ?
Le programme commun de la nouvelle coalition de la gauche, dont Jean-Luc Mélenchon est à la tête, formule 650 propositions, dont certaines sont difficilement conciliables avec les engagements pris par la France vis-à-vis de ses partenaires européens, et dans le cadre des traités. Par exemple : la création d’un pôle public de l’énergie, la relocalisation de la production agricole ou encore l’augmentation des écotaxes des sociétés. D’après la NUPES, les traités européens sont en totale « contradiction avec les impératifs de l’urgence écologique et sociale » et les règles économiques et budgétaires en vigueur empêcheraient les investissements nécessaires pour une transition écologique et sociale rapide et efficace.
C’est une critique récurrente qui est adressée à l’Union européenne : son cadre économique et budgétaire serait trop stricte pour permettre de répondre aux défis du siècle et pour compenser les inégalités engendrées par la transition ?
Oui ce n’est pas une critique originale. Les critères de Maastricht, la fameuse règle des 3% maximum de déficit, le Pacte de Stabilité et de croissance, toutes ces règles ont été édictées dans un contexte bien différent du nôtre. Depuis 10 ans nous enchainons les crises : crise économique, crise migratoire, crise sanitaire, crise sécuritaire avec les attentats terroristes et maintenant la guerre en Ukraine, et bien sûr crise de l’énergie et urgence écologique. Mais l’Union européenne ne s’est pas montrée inflexible. Surtout depuis deux ans : dès le printemps 2020, quelques mois après le début de l’épidémie de Covid-19, l’UE a suspendu les règles budgétaires pour permettre aux États d’investir et de compenser les pertes. Aujourd’hui, ces règles sont toujours suspendues et elles ne sont certainement pas prêtes d’être réappliquées étant donné les graves difficultés économiques auxquelles les États européens vont faire face du fait de la guerre en Ukraine. L’UE est certes une grosse machine, mais ce n’est pas le monstre inflexible que Jean-Luc Mélenchon décrit. Elle peut s’adapter, comme on l’a vu avec la crise sanitaire, lorsque le Plan de relance a été voté, malgré l’opposition des « Frugaux », ces pays du Nord traditionnellement attachés aux règles de la rigueur budgétaire.
Y a-t-il une autre voie que la désobéissance pour faire valoir nos intérêts ?
Oui, bien sûr. Cette voie, c’est celle de la négociation et de la discussion. C’est sur ça qu’est fondée l’Union européenne. Et ça fonctionne ! Alors bien sûr ça peut créer des frustrations et on ne gagne pas toujours une négociation, mais on trouve des compromis. Prenons un exemple récent : l’Espagne et le Portugal ont décidé de bloquer les prix de l’électricité. Jean-Luc Mélenchon s’est alors empressé de les montrer en exemple en disant qu’ils avaient désobéi aux règles européennes (puisque c’est l’UE qui fixe les tarifs de l’électricité pour ces pays membres). Or, ils n’ont pas désobéi puisqu’ils ont reçu une dérogation spéciale de la Commission européenne : les discussions ont duré plus d’un mois mais l’Espagne et le Portugal ont réussi à convaincre la Commission que cette dérogation était nécessaire, puisqu’il existait trop peu d’interconnexions avec le reste du continent et qu’ils étaient obligés de fonctionner comme une « île » énergétique. Donc on peut négocier. Mais encore faut-il savoir sur quoi on veut et sur quoi on peut véritablement négocier. Ce qui est certain c’est que les traités européens ne sont plus 100 % adaptés à la situation actuelle. Le dernier, celui de Lisbonne, a été signé il y a plus de 14 ans... c’est pour ça que la proposition d’Emmanuel Macron de réviser les traités est loin d’être absurde. Bien au contraire.
Joséphine Staron au micro de Laurence Aubron