Chaque semaine sur euradio, Perspective Europe, l'association
du master "Affaires européennes" de Sciences Po Bordeaux, revient sur
l'actualité bruxelloise et européenne.
Nils, dites-moi, quoi de neuf en Europe ?
La semaine dernière Friedrich Merz a été élu chancelier allemand. Il faut savoir que, pour la toute première fois dans l'histoire de la République fédérale allemande, il a fallu non pas un, mais deux tours de scrutin au Bundestag pour élire le chancelier. Pour Friedrich Merz, qui convoitait ce poste depuis plus de vingt ans, la journée du mardi 6 mai a bien failli tourner au cauchemar.
Qu'est-ce qui s'est passé lors de ce premier vote ?
Lors du premier tour, prévu à 9 heures comme une simple formalité, Friedrich Merz n'a pas réussi à obtenir la majorité nécessaire. Sur les 630 députés, il n'a recueilli que 310 voix, alors même que sa coalition avec la SPD compte théoriquement 328 sièges au Bundestag.
Et on ne savait pas qui avait fait défection, puisque le vote était à bulletin secret ?
Exactement. L'échec a semé la confusion et lancé immédiatement les spéculations. Certains y ont vu un message des voix les plus conservatrices de la CDU, mécontentes du contrat de coalition avec la SPD. D'autres ont pointé du doigt des députés sociaux-démocrates qui n'auraient pas digéré les attributions des postes ministériels.
Une situation qui a dû ravir l'extrême droite.
Tout à fait. L'AfD, le parti d'extrême droite arrivé deuxième aux élections, a immédiatement "jubilé" et appelé à de nouvelles élections. Le chancelier sortant, Olaf Scholz, s'est d'ailleurs inquiété, disant que cela ne pouvait que "profiter à l'extrême droite". Face à cette impasse, il a fallu organiser un second vote le même jour.
Et il a fini par être élu ?
Oui, en fin d'après-midi, Friedrich Merz a finalement réussi à rassembler la majorité nécessaire, bien qu'avec un visage visiblement marqué par l'épreuve.
Et à peine installé, le nouveau gouvernement a pris une décision majeure sur l'immigration.
Précisément. Le durcissement de la politique migratoire était d'ailleurs l'un des dossiers prioritaires annoncés par Friedrich Merz. Le nouveau ministre de l'Intérieur, Alexander Dobrindt, a annulé une directive datant de 2015 qui permettait l'entrée en Allemagne de ressortissants de pays tiers sans documents ou demande d'asile.
Qu'est-ce que cela implique concrètement ?
Désormais, la plupart des demandeurs d'asile sans papiers seront refoulés aux frontières. Le gouvernement souhaite ainsi réduire l'immigration illégale et le nombre de demandes d'asile, et retrouver "clarté, cohérence et contrôle".
Est-ce que ce durcissement est lié à la situation politique intérieure ?
Absolument. Cette mesure intervient dans un contexte de montée de l'extrême droite dans les sondages. L'AfD, classée "extrémiste de droite" par les services de renseignementintérieur allemand, ne cesse de progresser. Le gouvernement de Merz est inquiet face à la popularité de cette formation hostile aux migrants.
Friedrich Merz s’est rapidement impliqué sur la scène internationale, notamment avec ce déplacement à Kiev ; peux-tu nous en dire plus ?
Dès le samedi 10 mai, quelques jours après son élection, il s’est rendu à Kiev aux côtés d’autres dirigeants majeurs comme Emmanuel Macron, Keir Starmer et Donald Tusk. Cette visite de haut niveau, préparée dans la plus grande discrétion, visait à rendre hommage aux défenseurs de l’Ukraine sur la place Maïdan, à participer à un sommet de la "coalition des volontaires", et surtout à discuter, en coordination avec les Etats-Unis, d’une nouvelle proposition de cessez-le-feu plus contraignante pour la Russie.
Et cette proposition, qu'est-ce qu'elle contient ?
L'idée discutée est une suspension des combats pour trente jours, potentiellement en trois séquences de dix jours. Surtout, elle serait assortie de la menace de nouvelles sanctions, dans les domaines énergétique ou financier, si la Russie refusait l'accord ou le violait après l'avoir accepté.
Donc, des débuts marqués par des défis intérieurs et une implication rapide sur la scène internationale.
Exactement. Une élection difficile, un virage net sur l'immigration face à la montée de l'extrême droite, et une participation immédiate aux efforts diplomatiques pour la paix en Ukraine. Les premiers jours de Friedrich Merz à la chancellerie donnent le ton.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.