Alice Collin est avocate au Barreau de Bruxelles, en droit public et européen. Après avoir étudié les sciences politique et le droit, elle s'est spécialisée en études européennes au Collège d'Europe à Bruges.
Le 12 février, la Commission européenne a décidé de poursuivre la France en justice à cause d’une pratique controversée de chasse aux oiseaux. Pourquoi l’UE poursuit-elle la France précisément cette fois-ci ?
Tout tourne autour de ce qu’on appelle la directive "Oiseaux". Cette législation, adoptée par l’Union européenne en 2009, a pour but de protéger les espèces d’oiseaux sauvages naturellement présentes dans l’UE. Elle interdit notamment les pratiques de chasse non sélectives, c'est-à-dire des méthodes qui pourraient capturer ou tuer des espèces non ciblées. Et c’est là où la France est mise en cause : elle autorise toujours l’utilisation de filets horizontaux et verticaux pour chasser certaines espèces, comme le pigeon ramier, dans cinq départements du sud-ouest. Pour la Commission européenne, ces pratiques violent la directive parce qu’elles ne sont pas assez sélectives.
Et pourtant, ces pratiques semblent être qualifiées de "traditionnelles". Pourquoi cela ne suffit-il pas pour les autoriser ?
La directive "Oiseaux" permet effectivement des dérogations, mais à des conditions très strictes. Par exemple, les États membres doivent prouver qu’il n’y a pas d’alternative viable à ces pratiques, et surtout que les méthodes utilisées sont sélectives, c’est-à-dire qu’elles ne nuisent pas aux autres espèces. Dans ce cas précis, la Commission estime que la France n’a pas été capable de démontrer cela. Malgré plusieurs avertissements envoyés entre 2019 et 2023, les efforts français sont jugés insuffisants. On parle ici d’un enjeu de biodiversité : les filets capturent non seulement les espèces visées, mais aussi des oiseaux protégés ou en danger.
Cela veut dire que ce n’est pas la première fois que la France est rappelée à l’ordre sur la chasse ?
Absolument. Ce n’est pas une première. La France a déjà été condamnée en 2021 pour une autre pratique traditionnelle : la chasse aux oiseaux à la glu. Là encore, la Cour de Justice de l’Union européenne avait jugé que ces méthodes n’étaient pas conformes à la directive. On voit ici un vrai bras de fer entre la Commission européenne et les autorités françaises, qui sont régulièrement accusées de céder aux pressions des lobbies de la chasse.
Et quelles pourraient être les conséquences pour la France si elle est condamnée par la Cour cette fois-ci ?
Une condamnation pourrait avoir plusieurs effets. Tout d’abord, la France risquerait une amende importante, mais ce n’est pas tout. Une décision de la Cour pourrait forcer le pays à modifier ses pratiques de chasse, voire à interdire complètement l’utilisation de ces filets. Cela pourrait aussi avoir un impact symbolique fort, en renforçant la position de la directive "Oiseaux" et les engagements européens en faveur de la biodiversité. Enfin, cela pourrait encourager d’autres États membres à mieux respecter ces règles.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.