Comme chaque semaine, nous retrouvons Olivier Costa, directeur au département d'études politiques et de gouvernance européenne au Collège d'Europe pour sa carte blanche sur la Présidence française de l'Union européenne.
Quelles sont les conséquences de l’élection présidentielle sur la PFUE ?
Pour l’instant, c’est silence radio. Évidemment, les réunions continuent à l’échelle des fonctionnaires et des diplomates, des groupes de travail et des groupes d’experts du Conseil, mais il n’y a plus d’événement majeur à l’agenda. Le Président n’assume plus publiquement ce rôle, et tout le monde est suspendu aux résultats de l’élection présidentielle, qui risque d’amener un bouleversement majeur à l’Élysée, et sera dans tous les cas suivie par un changement de gouvernement.
Emmanuel Macron s’est-il détourné des questions européennes ?
Non, car il reste des événements importants prévus à l’agenda d’ici fin juin, notamment la conclusion le 9 mai des travaux de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, qui est un peu le bébé d’Emmanuel Macron et dont il aimerait sans doute qu’ils débouchent sur des changements majeurs. En outre, il a réactivé la thématique européenne, marqueur central de sa campagne, comme il l’avait déjà fait en 2017 et en 2019 pour les élections européennes. En somme, l’idée est de réduire le second tour entre Macron le candidat de l’Europe et Le Pen la candidate du Frexit. Le Président sortant présente le second tour comme un « référendum sur l’Europe ».
N'est-ce pas une façon un peu exagérée de dramatiser les enjeux ?
En fait, non. Marine Le Pen n’appelle plus ouvertement à la sortie de l’Union ou de l’Euro, car elle sait que son électorat n’y est pas favorable. Mais son programme est fondamentalement incompatible avec l’appartenance à l’Union en de multiples points. Elle veut en effet veut rétablir les contrôles aux frontières et réduire unilatéralement la contribution de la France au budget de l’Union. Elle entend aussi modifier profondément, par référendum, le droit de l’immigration, et introduire de nombreuses dispositions qui seront contraires au droit européen. Elle veut aussi instituer un référendum d’initiative populaire, qui pourrait, par exemple, elle l’a dit, porter sur l’appartenance de la France à l’Union. Bref, elle veut organiser le Frexit sans l’assumer.
Et quelle est la ligne d’Emmanuel Macron sur les enjeux européens ?
Comme en 2017, il revendique son attachement à l’Union européenne – qui a été au cœur de son meeting de Strasbourg au lendemain du premier tour. La PFUE est un argument pour lui, la preuve de son engagement européen et de sa crédibilité sur ce terrain. Il a aussi insisté sur le fait que l’Union est la solution et le juste niveau pour appréhender certaines problématiques, comme la lutte contre les inégalités et l’évasion fiscale.
Et que pensent nos partenaires européens de tout ça ?
Ils suivent attentivement la campagne, et n’y comprennent pas grand-chose. Hors de France, on a du mal à saisir comment ce pays prospère où il fait bon vivre, nourri d’une longue tradition humaniste, la patrie de Descartes, de Montesquieu et de Monnet, est prêt à élire une président d’extrême-droite, très eurosceptique. A l’occasion de la campagne pour le second tour, les gens découvrent aussi que son programme n’a pas suivi la même évolution que l’image de la candidate, qui a été recentrée. Il est assez similaire à celui de Jean-Marie Le Pen dans les années 1990, ou à celui des leaders européens les plus autoritaires, tels que Viktor Orban.
Mais en quoi nos partenaires sont-ils concernés par cette élection ?
Si la France élit Marine Le Pen et si celle-ci dispose d’une majorité à l’Assemblée nationale, on va assister soit à la sortie de la France de l’Union européenne – puisque la plupart de ses mesures sont contraire au droit européen – soit au délitement de celle-ci – si d’autres pays en profitent pour cesser de respecter eux aussi les règles qui leur déplaisent. L’Union a survécu au Brexit, et elle s’accommode désormais de l’euroscepticisme des leaders polonais et hongrois. Mais un virage eurosceptique de la France, fondatrice de l’intégration européenne et partie-prenante de toutes les grandes avancées de celle-ci depuis 1950, deuxième économie de la zone, et pays situé au carrefour de l’Europe, signifierait sans doute la fin de l’intégration européenne telle qu’on l’a connaît. Les résultats du scrutin du 24 avril seront donc suivis avec une certaine angoisse dans beaucoup de capitales européennes et au sein des institutions européennes.
Olivier Costa au micro de Cécile Dauguet