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Action collective contre Booking : ce que change la CJUE

Photo de Andrea Piacquadio - Pexels Action collective contre Booking : ce que change la CJUE
Photo de Andrea Piacquadio - Pexels

Alice Collin est avocate au Barreau de Bruxelles, en droit public et européen. Après avoir étudié les sciences politique et le droit, elle s'est spécialisée en études européennes au Collège d'Europe à Bruges.

Deux cabinets d’avocats lancent une action collective au nom des hôteliers, qui dénoncent des pratiques commerciales jugées abusives contre la plateforme de réservation Booking.com. De quoi s’agit-il exactement ?

Booking est accusée par des hôteliers en France et en Espagne d’avoir abusé de sa position dominante. En cause : des commissions jugées excessives – parfois jusqu’à 25% – mais aussi des "clauses de parité tarifaire" qu’elle imposait aux hôtels. En clair, ces clauses interdisaient aux hôteliers de proposer un meilleur prix ailleurs que sur Booking. C’est cette pratique que la Cour de justice de l’Union européenne a jugée contraire au droit de la concurrence en septembre 2024. Elle limite la liberté commerciale des établissements, ce qui fausse le marché.

En pratique, qu’est-ce que cette décision change pour les hôteliers européens ?

Cette décision ouvre la voie à des recours en justice. Grâce à elle, les avocats des hôteliers – notamment des cabinets français et espagnols – peuvent argumenter que Booking a causé un préjudice économique en faussant les prix du marché. Ils estiment que les pertes pourraient atteindre 1,5 milliard d’euros rien qu’en France. L’action collective permet donc de rassembler tous les hôteliers lésés pour demander réparation, sans que chacun ait à agir individuellement.

Et concrètement, comment ça fonctionne, une action collective de ce type au niveau européen ?

Ici, l’idée est de centraliser les demandes des hôteliers qui estiment avoir été lésés. Un site dédié a été lancé – actioncollectivehotel.fr – pour rassembler leurs données et calculer les préjudices. Le financement est assuré par un tiers investisseur, donc les hôteliers ne payent rien à l’avance. S’ils gagnent, ce financeur touche un pourcentage des indemnisations (autour de 25 à 30%). Et comme Booking est maintenant sous surveillance dans le cadre du Digital Markets Act, il lui est interdit de sanctionner les hôteliers qui se joindraient à cette action.

Et quel est le lien avec le Digital Markets ?

Le Digital Markets Act, ou DMA, est une législation européenne entrée en vigueur en 2023. Elle vise les grandes plateformes numériques dites "gatekeepers", comme Booking, qui occupent une position incontournable sur leur marché. Ces géants doivent désormais respecter des règles strictes, justement pour éviter les abus comme ceux dénoncés ici. Le fait que la CJUE ait confirmé l’illégalité des clauses de parité renforce la portée du DMA et montre que les règles européennes peuvent vraiment rééquilibrer les rapports de force.

Et quelle ampleur cette action pourrait-elle prendre ?

Elle pourrait être considérable. En France, les pertes sont déjà estimées à 1,5 milliard d’euros pour la période 2015-2024. Des discussions sont en cours pour étendre l’action à d’autres pays, comme l’Italie et le Portugal, afin de créer un front juridique européen contre les abus présumés de Booking. C’est aussi un signal fort envoyé à d’autres plateformes numériques dominantes : la régulation européenne peut maintenant s’appuyer sur des décisions judiciaires solides pour rééquilibrer les rapports de force.

Un entretien réalisé par Laurent Pététin.