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L’Europe de la Santé : un enjeu d’autonomie stratégique - Hashtag PFUE avec Joséphine Staron

L’Europe de la Santé : un enjeu d’autonomie stratégique - Hashtag PFUE avec Joséphine Staron

Comme chaque semaine, nous retrouvons Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales chez Think Tank Synopia, le laboratoire des gouvernances.

La pandémie de covid-19 a remis sur la table des négociations européennes un projet qu’on pensait tous, si ce n’est enterré, du moins pas prêt de ressortir : c’est l’Europe de la Santé. Le Président Macron a d’ailleurs dit qu’il en ferait un des axes forts de la PFUE.

Alors qu’est-ce qu’on entend par Europe de la Santé ? Une harmonisation des systèmes de santé ? Un transfert de compétence ?

C’est une vraie question puisqu’on peut mettre un peu tout et n’importe quoi derrière ce concept. Aujourd’hui, la santé n’est pas une compétence partagée de l’UE, c’est uniquement une compétence d’appui, c’est-à-dire que l’Union européenne peut compléter les politiques de santé des États sur des aspects de prévention, de surveillance des maladies ou des risques pandémiques, d’information des citoyens européens sur la sécurité des médicaments. Elle peut aussi fixer des normes de qualité et de sécurité, comme elle le fait dans le domaine agro-alimentaire via notamment l’étiquetage obligatoire des produits nocifs pour la santé. 

Au niveau institutionnel aussi, l’UE a créé en 1995 l’Agence européenne du médicament. Et en 2005, suite à l’épidémie du SRAS en Asie, elle a également créé le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies.

Donc l’Europe de la Santé c’est déjà quelque chose de tangible ? 

Oui dans une certaine mesure, mais la crise sanitaire récente a révélé combien elle était incomplète et qu’elle avait besoin d’être renforcée. Alors ce renforcement, il ne passera vraisemblablement pas par une modification des traités, en tout cas pas dans un futur proche, et donc l’UE n’obtiendra pas la compétence partagée dans le domaine de la santé. Mais elle va surtout s’atteler à renforcer sa capacité d’anticipation des pandémies, notamment à travers la création en septembre dernier d’HERA, l’Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire. 

La crise sanitaire a donc révélé un défaut des institutions existantes dans l’anticipation des risques pandémiques ?

Oui alors même que c’était déjà une des missions principales de l’Europe de la Santé. Donc à ce niveau-là elle a bien été défaillante. D’ailleurs, dès le début de la pandémie on a ressorti du placard le fameux rapport de Michel Barnier qu’il avait remis aux institutions européennes en 2006 déjà. Et dans ce rapport, et bien il dressait une liste des crises possibles, notamment des pandémies, et il identifiait les lacunes du système européen.

Donc quand la crise sanitaire éclate, on sait déjà que l’Europe de la Santé ne pourra pas faire grand-chose pour aider les États à s’en sortir ?

Malheureusement oui. Et on s’en souvient, les premiers temps de la crise ont illustré l’absence manifeste de solidarité européenne et l’absence de coordination des politiques publiques : certains États ont décidé de manière unilatérale de fermer leurs frontières, ce qui n’a pas aidé Schengen d’ailleurs ; d’autres n’ont pas hésité à voler du matériel médical, notamment des masques, sur les tarmacs des aéroports ; des mesures de confinement ont, là aussi, été décidés de manière unilatérale. Bref, il faut le dire, les premières semaines, c’était vraiment chaotique et on avait le sentiment que l’UE était figée, muette, dépassée par les évènements. 

Mais là où elle a surpris tout le monde, même les plus sceptiques, c’est quand elle est sortie assez rapidement de cet état d’hébétement et qu’elle a activé tous les mécanismes dont elle disposait pour aider les États.

Par exemple ? 

Déjà le gigantesque plan de relance pour soutenir les économies nationales qu’elle a mis sur pied, avec l’aide de la France et de l’Allemagne, en un temps record, à peine 4 mois. 

Sur le plan de la Santé, elle a également été très active puisqu’elle a permis de faire approuver, là encore dans un temps record, le premier vaccin contre le covid. Dès le mois de juin 2020, elle a mis sur pied sa stratégie vaccinale : par des achats centralisés et anticipés auprès des fabricants et des laboratoires ; par une modification de son cadre réglementaire afin d’accélérer le développement, l’autorisation et la distribution des doses de vaccins entre les États membres mais également à l’international. En tout, c’est près de 5 milliards de doses qui ont été commandées et distribuées.

L’Europe de la Santé a donc été utile et efficace pour gérer la crise sanitaire. Qu’est-ce qu’on attend d’elle aujourd’hui ?  

Plusieurs choses. Déjà, qu’elle perfectionne ses mécanismes d’anticipation et de prévention des crises. Mais aussi qu’elle prépare la résilience des États européens en cas de survenue d’une nouvelle crise. Pendant la pandémie, on a vu que la désindustrialisation de l’Europe était à l’origine des ruptures d’approvisionnements en médicaments et en fournitures médicales qu’on a connu. Et ça ce n’est plus tolérable aujourd’hui. Donc une Europe de la Santé efficace, c’est une Europe qui prend en main le sujet de la relocalisation des industries stratégiques, notamment les industries de santé, et c’est une Europe qui anticipe en constituant des stocks de matériels stratégiques par exemple. L’enjeu de l’Europe de la Santé, c’est donc un véritable enjeu de puissance et donc d’autonomie des Européens. 

Joséphine Staron au micro de Cécile Dauguet