Comme chaque semaine, nous retrouvons Olivier Costa, directeur au département d'études politiques et de gouvernance européenne au Collège d'Europe pour sa carte blanche sur la Présidence française de l'Union européenne.
Emmanuel Macron a été réélu dimanche soir. Quel bilan tire-t-on de cet événement en Europe ?
Le soulagement domine. Dans presque toutes les capitales on suivait avec anxiété, et un peu d’incrédulité, la campagne électorale française. A quelques exceptions près – comme Viktor Orban, en Hongrie – les leaders ne cachaient pas leur crainte d’une élection de Marine Le Pen. Il n’est pas rare que des responsables politiques affichent une préférence dans un scrutin étranger, notamment pour un candidat qui appartient à leur famille politique. Mais la tribune parue la semaine dernière dans Le Monde, signée par trois dirigeants sociaux-démocrates – l’Allemand Olaf Scholz, l’Espagnol Pedro Sanchez et le Portugais Antonio Costa – est inédite par sa clarté et par son intensité.
Voit-on cette élection comme un retour à la normale ?
Non. Car dans beaucoup de capitales on se demande ce qui se passe en France, comment il est possible qu’un discours aussi ouvertement xénophobe, réactionnaire et eurosceptique que celui de Marine Le Pen ait pu être banalisé. Tout le monde est lucide quant à l’ampleur de la tâche qui attend Macron, pour réparer les fractures de la France et la crise de confiance dans la démocratie représentative.
Les leaders européens et les responsables des institutions de l’Union sont toutefois rassurés par sa réélection, et il a eu droit à une pluie de félicitations enthousiastes. Certains ont salué le courage avec lequel il a assumé ses convictions pro-européennes – au moment où tant de leaders modérés donnent dans l’euroscepticisme soft.
Et que devient la PFUE dans tout ça ?
Tout le monde attend qu’Emmanuel Macron reprenne le collier. La présidence touche à sa fin et va être perturbée par les élections législatives du mois de juin, mais il y a encore des dossiers à boucler.
Surtout, le rôle de la France n’est pas destiné à s’arrêter, notamment quant à l’affirmation de l’Union comme « puissance ». La France est notamment incontournable pour parler d’Europe de la défense – en tant que principale puissance militaire et membre du Conseil de sécurité de l’ONU. Personne ne compte sur les présidences suivantes – Tchéquie et Suède – pour le faire. On attend aussi d’Emmanuel Macron qu’il continue à soutenir l’Ukraine et à pousser l’idée de nouvelles sanctions contre la Russie.
Le leadership européen de la France va donc au-delà de la PFUE ?
Oui. C’est un peu un leadership par défaut, compte tenu de l’absence d’autre responsable politique national capable de porter un discours audacieux sur l’Union. La coalition allemande a des ambitions européennes importantes, mais elle est divisée et peu capable de prendre des initiatives. Surtout, on ne sait pas jusqu’à quel point l’Allemagne entend assurer son réarmement dans un cadre européen ; sa décision d’acheter des F35 n’incite pas à l’optimisme. Il en va de même pour sa stratégie de sortie de la dépendance énergétique à la Russie.
Il y a aussi une opportunité à saisir avec l’affaiblissement du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, Tchéquie et Slovaquie) du fait de la guerre en Ukraine. Certains leaders – en particulier Viktor Orban – paient leur connivence avec Vladimir Poutine. Et les populations voient désormais l’Union européenne d’un autre œil, comme un ensemble susceptible de les protéger des visées de leur bouillonnant voisin russe… Il faut mettre ce revirement à profit.
Emmanuel Macron compte-t-il faire un geste fort avant de céder la Présidence du Conseil fin juin ?
C’est possible. Il veut faire avancer le dossier de l’adhésion des pays des Balkans occidentaux, qui est en souffrance. Cela implique d’évoquer aussi la possible adhésion de l’Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie. Si un élargissement, même lointain, est annoncé, il faudra sans doute réformer les traités. La cérémonie de clôture, le 9 mai, de la Conférence sur l’avenir de l’Europe à Strasbourg pourrait être l’occasion d’une annonce en ce sens.
Olivier Costa au micro de Laurence Aubron